Dans chaque cellule
Dans chaque cellule (nid d’humidité
cagibi de dressage)
un prisonnier et son monde
se sont évadés pour
un temps (ici, l’évasion n’est pas affaire légère)
Ceux qui rêvent les yeux ouverts
ne sont pas fatalement tristes
Ils dessinent des fenêtres turquoise
sur l’écran de la nuit
lâchent des gazelles
dans l’incommensurable sablier du temps
Ils entretiennent la mémoire vive
Ceux qui bricolent
sont les plus heureux
Ils réitèrent la genèse du chant et des techniques
et la fantaisie s’en mêle
pour humaniser allègrement
l’oblique paysage
Ceux dont la chair se ravive de sève virile
sont les plus assiégés
iconolâtres de sauvages libertés
ils aspirent goulûment l’acre fumée
des interdits
Les murs-sirènes tournoient
l’image stridente flagelle et fuit
puis le chant intervient
baume suturant les brisures
fantasmes terrassés
Ceux qui rédigent des lettres
sont de vrais artisans de la fraternité
Ils ouvrent les veines de leur sensibilité
découvrent qu’ils n’ont peut-être jamais parlé, écouté
et le dialogue s’illumine
bouleversement d’être
Ils animent le vaste théâtre de la présence
Ceux qui sont malades
sont les plus prisonniers
Le corps pèse de tout son poids de frustrations
s’écorche dans le naufrage des insomnies
Le sommeil suffoque
parcours-martyre de la cavale impossible
Ceux qui écrivent des poèmes
sont les plus agités
Ils guerroient contre la porte, les murs, la loi du silence
font violence à leur corps et à leur pensée
pour abolir tout ce qui entrave la parole
Ils tanguent sur la corde raide
à chaque page s’annihilent pour renaître
Dans chaque cellule
un prisonnier et son monde
noctambules de la résistance ordinaire