Grève de la faim
Parlons d’ailleurs de cette grève de la faim
C’est une forme de lutte
que les hommes de ma condition
ont expérimentée au cours de la longue histoire
des mutilations
Certes c’est un acte passif
mais lorsqu’on n’a que sa poitrine nue à opposer
à l’arsenal de l’arbitraire
la seule arme qui nous reste
c’est ce souffle
irrépressible en nous
l’épuiser jusqu’à la limite extrême
risquer son extinction
pour que sauve soit notre dignité
Le soleil est fade
quand on a faim
et les nuits d’insomnie sont glaciales
On pense à tellement de choses
sérieuses ou cocasses
J’avoue que quand j’étais le moins grave
c’était l’idée des nourritures terrestres qui me tourmentait
J’imaginais un tas de bonnes choses à manger
toute ma culture gastronomique y passait
mais va, je n’ai pas honte de ces pensées-là
car ce qui domine
dans cette attente
cette croisière vers l’inconnu
c’est le sentiment de l’immense force
au sein de la faiblesse
la supériorité de celui qui résiste
face à celui qui l’opprime
Oui la vie est une arme redoutable
qui effrayera toujours
les cadavres armés
Ce qui domine
c’est encore une fois la fraternité des douleurs
La torture des affamés
c’est donc ce goût putride et blessant dans la bouche
ces yeux exorbités et froids dans le brouillard du jour
ces tripes qui se tordent et plient
sous le désespoir du vide
Ce qui domine
c’est encore une fois la fraternité des douleurs
Les idées foncent à travers la nuit
deviennent matérielles
elles ne sont pas les miennes
ou celles de l’autre ou de l’autre
mais celles
de tous les exclus du soleil
Ce qui domine
c’est encore une fois la fraternité des douleurs
car notre faim
n’est pas mirage de pactoles
n’est pas concupiscence des mégalopoles à genoux
devant le veau d’or et de stupre
notre faim est d’une nouvelle terre
habitée par des hommes nouveaux
d’un soleil partagé
sans mesure mercantile
d’une paix irrémédiable
au grand dam des bâtisseurs de différences
Aussi
en ces jours d’abstinence
c’était une fierté pour moi
que d’avoir faim
et de troubler ainsi
la misérable quiétude
des affameurs de notre peuple