La ballade de l’émigré

Abdellatif Laâbi
par Abdellatif Laâbi
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Première prison : ciel sourd

aux prières des mains

La terre rapetisse de hanches dévore ses seins

Les charognards dépècent

la mémoire sédentaire

L’homme craquelé de toutes les noces sculpteur

d’arbres de sillons bavards

humus du soleil né de l’eau née du soleil l’homme

lige des nuits guérisseuses

pâlit et c’est le premier déracinement

Deuxième prison :

venin de mégalopoles

assises ou debout

sur les fleuves de larmes

distribuant leurs cartes

sur les marionnettes d’iniquité

Silos d’hommes engrangés

dans le collimateur tout-à-1’égout des bidonvilles

Mains trouées

enfilées dans les chapelets d’usines

et de banques multi-mutilatrices

L’homme craquelé de toutes les noces

graine rebelle de l’arc-en-ciel

pâlit

et c’est le deuxième déracinement

Première complainte :

outre-outre-mers

ne m’oublie pas frère

Ah ma mère

mon fils

et toi ma sœur, mon amante captive

le bateau m’emporte

Me voilà dans le ventre de la baleine

des temps maudits

Je n’ai plus de voix

plus d’ombre

plus de traits

Au-dessus des ténèbres

se lève la lune acide de l’exil

Troisième prison :

tours de Babel

à perte de vue, d’âme

Hiver incommensurable

rude hiver de l’homme

labyrinthes d’excavatrices

perforant les bras

voirie gouttières écuries rogatons grisou chancres

et partout partout

la même indifférence

en coutelas de haine

d’inquisition ordinaire

L’homme craquelé de toutes les noces

claque des dents

et de tout son corps

tatoué de fêlures

Ses yeux brûlent

étoiles débridées

dans le ciel-pénombre

de la somnolence occidentale

U homme-fleuve

des saignées mirifiques

pâlit

et c’est le troisième déracinement

Quatrième prison :

une île dans une île dans une île

Béton-rouille

glacis du silence

corps grouillant de cadenas

L’homme craquelé de toutes les noces

enlace les barreaux de sa révolte

et de la jungle du monde

Il se découvre enfin

méditant

capable de pensées

et de visions

Son cœur de rossignol blessé

bat la chamade

La prison appareille

fend la houle de l’exode

L’homme confisqué

de tous les rapts

sourit

au soleil irréel du retour

Abdellatif Laâbi

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