La ballade de l’émigré
Première prison : ciel sourd
aux prières des mains
La terre rapetisse de hanches dévore ses seins
Les charognards dépècent
la mémoire sédentaire
L’homme craquelé de toutes les noces sculpteur
d’arbres de sillons bavards
humus du soleil né de l’eau née du soleil l’homme
lige des nuits guérisseuses
pâlit et c’est le premier déracinement
Deuxième prison :
venin de mégalopoles
assises ou debout
sur les fleuves de larmes
distribuant leurs cartes
sur les marionnettes d’iniquité
Silos d’hommes engrangés
dans le collimateur tout-à-1’égout des bidonvilles
Mains trouées
enfilées dans les chapelets d’usines
et de banques multi-mutilatrices
L’homme craquelé de toutes les noces
graine rebelle de l’arc-en-ciel
pâlit
et c’est le deuxième déracinement
Première complainte :
outre-outre-mers
ne m’oublie pas frère
Ah ma mère
mon fils
et toi ma sœur, mon amante captive
le bateau m’emporte
Me voilà dans le ventre de la baleine
des temps maudits
Je n’ai plus de voix
plus d’ombre
plus de traits
Au-dessus des ténèbres
se lève la lune acide de l’exil
Troisième prison :
tours de Babel
à perte de vue, d’âme
Hiver incommensurable
rude hiver de l’homme
labyrinthes d’excavatrices
perforant les bras
voirie gouttières écuries rogatons grisou chancres
et partout partout
la même indifférence
en coutelas de haine
d’inquisition ordinaire
L’homme craquelé de toutes les noces
claque des dents
et de tout son corps
tatoué de fêlures
Ses yeux brûlent
étoiles débridées
dans le ciel-pénombre
de la somnolence occidentale
U homme-fleuve
des saignées mirifiques
pâlit
et c’est le troisième déracinement
Quatrième prison :
une île dans une île dans une île
Béton-rouille
glacis du silence
corps grouillant de cadenas
L’homme craquelé de toutes les noces
enlace les barreaux de sa révolte
et de la jungle du monde
Il se découvre enfin
méditant
capable de pensées
et de visions
Son cœur de rossignol blessé
bat la chamade
La prison appareille
fend la houle de l’exode
L’homme confisqué
de tous les rapts
sourit
au soleil irréel du retour