Marasmes

Abdellatif Laâbi
par Abdellatif Laâbi
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reddition

simple parole d’allégeance

et la terre pâlit

tourne

la manivelle des siècles la décoction des armes tourne miné

notre globe est miné

nos voix humaines sont polluées

quand tournent tournent les équations

les racines cubiques de missiles tourne tourne

la ronde du scorpion le suicide de l’arachnide noir comme ma face

ou ce corbeau qui me veille ma face brûle

comme une coriandre sèche ma face qui ne me

ressemble plus ma face t o m b e grappe de fourmis et de crachats

ma face crie

un peuple claque des dents le cimetière se repeuple

de mains il neige sur des tombes

là quelque part

dans mon cerveau

mon corps se soulève un poème me tord

je l’éjacule le dépose sous vos lamelles vos lentilles détraquées ce n’est vaccin que je vous sers formules magiques ou vérités allègres

(Seigneur donnez-nous notre lot d’absurdités quotidiennes et préservez-nous de notre accablante liberté) je vous émascule dans vos fiertés d’époux votre culture claironnante vos babils de palier vous m’éteignez

vous me disséquez en petites cérémonies comment-ça-va-et-la-santé-c’est-le-principal vous m’assenez vos fadeurs votre horizontale familiarité vous me schématisez frères mais vous souillez à peine mon tronc j’ai des racines

un itinéraire souterrain de signes un souffle d’éléments inconnus

Sortez de mon corps

hyènes à balafres

évacuez mon sang jaune de vos biles

sortez

je vous laisse ma carapace

mon appétit et mon langage quotidiens

je m’exile parmi vous

je me tais

rentre ma colère

ma fraternité qui vous choque

mes mots qui s’usent à votre encontre gèlent sous votre regard des poèmes me guettent complotent

les charges

ma mise à mort le mot tonne

j’en suis la première victime cependant je l’extrais

le propulse

vers vous

vent fort

peuple un tu explores mon histoire marche

pendu ou guillotine mais navette corps sue

marche

use marche

tais le pilori défais le langage

forme le mot reviens à moi

donne la main

serre le nombril profère tes hérésies je n’aime pas ta lune d’hommes bleus

écrase la recette cache tes doléances tes mégots d’espoir

ta risée au jour le jour

rude et mienne

bribe quotidienne tu viens de l’aube rabougrie

d’un entre-choc de siècles

et tu déclines ton nom

tu ne concernes que ma liberté

tu ne saisis que ma liberté

tu ne recoupes que ma liberté

tu ne me connais pas

mais reste

ne me plains pas

ne me plaide pas non coupable

ne trompe pas la foule

pour me blanchir

toi

tu n’as qu’un jour brumes de digues

arêtes de villes tu dois parler partir après serait facile

ils te lapideront

dis alors ce qu’un poignard peut suggérer

entre l’œil et la plaie

raconte ce sang

qui s’évapore dans ton haleine tu montes la garde ta torche

c’est le mot

qui explose dans tes artères éclate aux carrefours

aux puits

aux sources ainsi polluer

la vie stérilisée du monde

j’accuse encore

reddition

simple parole d’allégeance

et tourne tourne la noria

temps nul tourne l’arbitraire des saisons tourne vaste vent de criquets des loques

le typhus

le trachome les bâtiments se taisent quand tourne la mort

dans les ruelles

boueuses comme ma face dépossédé de cette face qu’une

taupe a nuitamment souillée ma face

multipliée dans toutes les faces qui crient

la voix du ventre

du sexe et d’une dignité blême

non écrite qui rôde dans un bombardement naïf

de frondes

Abdellatif Laâbi

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