Mort mienne
À trente-trois ans
voilà que je pense moi aussi
à la mort
Ce n’est pas de la mort en majuscules
qu’il s’agit
mais tout simplement de la mienne
qui peut survenir un jour ou l’autre
et avec l’expérience de laquelle
il faut que je règle quelques comptes
Ce ne sont pas des idées noires
ou « l’effroi métaphysique » qui m’empoignent
non
c’est tout à fait réaliste
lorsqu’on a encore des années à tirer en prison
et que l’on est jour et nuit
à la merci de ses tortionnaires
Mort mienne
je te veux douce comme ces rêves heureux
où malgré tous les obstacles
je parviens au bout du dédale
à saisir et caresser la main de ma bien-aimée
à recomposer la couleur de ses yeux
à sentir le pétale d’une larme
se former sur le flambeau de sa pupille
Douce je te veux
une seule image
résumant toutes les splendeurs de l’assaut humain
toutes les promesses que tiendra la vie
Je te veux
en un frémissement d’aurore
forêt de mains couvrant la planète
et des rires chauds et des tambours en furie
et des flûtes abolissant les vieilles vieilles solitudes
Tu pourras alors me taper sur l’épaule
mort mienne
et je te suivrai sans réticence
Je ne laisserai derrière moi
ni trésor caché
ni biens immobiliers mais quelques paroles pour l’avènement de l’homme et cette tendresse miraculeuse qui me permet mort mienne
de défier ton regard mécanique et de m’endormir paisiblement en sachant que mes rêves ne tomberont pas en poussière comme mon écorce matérielle mais fleuriront sur les sentiers que les hommes empruntent pour échanger des soleils en se donnant l’accolade et pour lutter