Poèmes tombés du train
Les larmes montent
aux yeux du sphinx
tant l’énigme a tué
L’eau cherche le désert
qui la fuit
soif de l’eau inconstance du désert
Toute sagesse est illusoire
Le sang rompt les
équilibres emporte les garde-fous
L’homme s’agrippe
aux écailles du miroir
L’oiseau
disons la tourterelle
se moque du désordre
son chant
n’est pas une réponse
aux inquiétudes de l’éphémère
Cette lumière n’est pas à décrire elle se boit ou se mange
Après nous
qui viendra recueillir l’héritage
le désert refleurira-t-il ?
Le poème s’inquiète
des menaces d’extermination
il ramasse des pierres
au cas où…
– Imaginons !
– Vous plaisantez, le mot est tombé en désuétude
– Réfléchissons !
– Ne perdez pas votre temps
Caresse
ce mot qui caresse
et appelle les caresses
pas un mot
un élément
une autre lumière du cœur
en prière
Le jaune attend le bleu
qui s’attarde avec
le vert le blanc sourit
à cette scène ordinaire
du dépit amoureux
Le vin est licite
bois, ô compagnon
tu n’as rien à oublier
c’est en buvant que tu te souviens
Je bois sans arrière-pensée
mon verre est une pomme énamourée
elle se languit
de la sève qui se dérobe
des étoiles qui s’échappent sans cesse
comme des gazelles averties
mon verre est un majnoun
d’amour
Habiter son corps
n’est pas aisé
c’est une maison hantée
un champ de mines
Il faudrait pouvoir le louer
juste pour des vacances
Ce qui est beau
l’est immédiatement
universellement
Est-ce une injustice
si les femmes sont plus belles
que les hommes ?
La laideur
en tout cas
est injuste
L’amandier en fleur
ne souffre pas la critique
Le paradis
ce n’est pas une mauvaise idée à condition de pouvoir y porter la contradiction
Toute femme qui dort
fait l’amour
Majesté de l’arbre
il trône sans gouverner
sans sévir
sans prélever d’impôt
sans appeler les jeunes
sous les drapeaux
sans consommer de vierge
chaque nuit
sans devoir mentir
Il est le monarque
parfaitement juste
Je veux bien
me charger de vos tristesses
mais pourquoi la mienne
devrait-elle vous rester étrangère ?
Si je me jetais
sous les roues d’un train
j’aurais vraiment pitié de vous
Vouloir la lune
devrait être
le plus petit dénominateur commun
Lire parfois
c’est être humilié de ne pas écrire
La rosée
ce n’est que de l’eau
mais c’est une eau amoureuse
Regardez vos mains
regardez-les
vous aussi
vous participez du mystère
Je mourrai par hasard
mais personne ne choisira ma tombe
à ma place
Aujourd’hui
les mots s’étirent d’aise
et bâillent
ils ont un teint de pêche
Dans les coulisses
la comédie
sur scène
la tragédie
dans la salle
le chœur d’admirateurs à la carte
dehors
la pluie tombe
sur la ville déserte
Paris
joue
à être Paris
Il y a
plus de faux que de
avec cela que le faux
coûte plus cher
Il en faut de la science
pour faire le tour de la ville
sans se sentir étranger
et pouvoir dire à la ville comme tu es belle !
Si je vis mieux ici
c’est parce que je ne suis pas
dans la course
Ici
on cherche toujours quelque chose
dans les cafés, les églises, les places
et jusque dans les poubelles
on cherche en l’autre, en soi
dans la cohue des trottoirs
l’accalmie des ponts
dans l’eau stagnante des fontaines
et sur les bancs indiscrets
on cherche en bas, en haut, devant soi
un ticket de métro
une terre ou une femme perdues
un livre qu’on lira
sur un lit d’hôpital ou en prison
une chanson sans titre
un ouvre-boîte solide
un oiseau qui ne chante que de nuit
On cherche
un regard qui fera basculer votre vie
un graffiti à vous seul adressé
un heurtoir arabe sur une porte italienne
une carte postale que vous avez envoyée il y a vingt ans
et que le destinataire a revendue
votre date de mort inscrite
sur un tronc d’arbre
dans un petit parc
que vous ne faites que traverser
Ici
on cherche toujours quelque chose
dans le carrousel délirant
du désir
Le délire
touche à tout
c’est un redoutable analyste
mais voilà
il ne tire pas de conclusions
Ai-je fait mal
à mes semblables
à mes proches
à mon peuple
Ai-je trahi quelqu’un ?
Je pose ces questions pour
ne pas insulter l’avenir
Je n’ai jamais rien eu à vendre
Un ange déchu
qui ne se résigne pas
je veux bien être cela
Ce sont les défaites
qui nous apprennent
la générosité
Je ne le nie pas
l’écriture est un luxe
mais c’est le seul luxe
où l’homme n’exploite
que lui-même
Nous croyons conduire la planète
nous ne faisons que
l’accompagner
Le prophète détruit les idoles
le tyran
édifie des statues
Je connais
quelques maladies
compatis à toutes les autres
mais je n’ai jamais compris
la maladie de l’argent
et du pouvoir Dois-je compatir aussi à celle-ci ?
On achève bien aussi
les enfants
par les armes, par la faim
sans que cela provoque
l’apocalypse
sans que le Sauveur accoure
pour arrêter cette folie
Ne vous bouchez pas le nez
peuples heureux
faites l’aumône
c’est toujours ça à prendre
à reprendre
de votre rapt légal
Je vous choque
parce que je ne veux pas être
votre égal
Ma religion me l’interdit
car voyez-vous
je suis croyant
comme seul peut l’être un vrai païen
échappé aux inquisitions
qui ont donné le monde en pâture
aux édentés de votre espèce
Pourtant je ne vous abandonne pas
je vous plains vivants
je vous plains morts
je suis votre sang négatif
Une courte récréation
Il y faut de la douceur
pour crier à mort
Les privilèges rabaissent
Je ne mérite rien rien ne me mérite
Je suis quitte
avec la gratitude
et l’ingratitude
L’Histoire jugera, dit-on Encore un procès !
J’ouvre la fenêtre
de mon jardin secret
Les prédateurs ont tout saccagé
ils ont emporté
jusqu’au secret de mon jardin
L’adieu
c’est déjà une cérémonie
du retour
Revenir
suis-je parti ?
Toujours je reviens
jamais je ne pars
L’intransigeance c’est cela qui permet la tolérance
Souvent je me sens diminué fautif quelque part quand on vient me féliciter
Je lis beaucoup dans le sourire des autres
mais je ne sais pas de quoi est fait le mien
J’ai condamné mes enfants au fardeau que je porte Dois-je le déposer pour qu’ils s’en libèrent ?
Je suis inquiet quand je ne rêve plus
Il devrait y avoir une banque du rêve à l’instar des banques du sang
Le sourire ne s’apprend pas c’est un don