Réponse au poème
Mon aimée
j’ai devant moi ton poème
Je l’ai lu je ne sais combien de fois
au retour de la visite
lorsque ta présence
ta voix toute chaude
vibraient en moi comme le tangage d’un navire
après un long voyage
quand il m’est arrivé d’être malade
et que je refusais obstinément ma douleur
parfois avant de dormir
lorsque le vent de nostalgie
soufflait dans mes yeux
ses rafales d’arrachement
ou alors quand je me réveillais tôt
et que dans la faible clarté du jour naissant
je me laissais aller
à la vision de notre préhistoire
de notre transformation
de notre incommensurable accord
et à m’étonner qu’un tel miracle
soit aussi rationnel
aussi proche de nos capacités humaines
Ton poème est là
c’est ton cœur rouge et palpitant
franc
ne connaissant la haine
que de ce qui tue la vie
c’est ta main sans vernis
sans oripeaux
ouverte à la rencontre
ce sont tes yeux miroitant et plongeant
dans la vague du poème
le peuplant d’immensités bleues
de soleils tenaces
craquelant la face du malheur
Mon aimée
j’ai devant moi ton poème
Ce n’est pas un joaillier
qui en a serti les paroles
dans un métal luxueux
sorti d’un trésor maudit
Il n’obéit pas
à ce que l’on appelle
les règles de l’art
mais je t’y retrouve tout entière
ta stature altière
tes poings de fureur
la ténacité de ta marche
et cela me bouleverse
comme au sortir d’un grand livre
où je sens
qu’un homme véritable
se tient derrière les lignes
fraternel
Mon aimée
ton poème est là et je voudrais t’exprimer
tout le bonheur que j’ai eu à le lire
non parce qu’il s’adresse à moi
ou criante notre amour
mais pour le symbole qu’il représente
Tu te rappelles combien de fois
j’ai appelé à la créativité de la femme
et ma conviction ferme
de ce que la femme
libérée de son double esclavage
nous révélera
hommes et femmes sur nous-mêmes
sur le monde quels rêves inouïs inhibés
raillés
assassinés depuis le temps immémorial
où naquirent les classes
les inégalités quels rêves insensés po
ur notre imagination atrophiée se réaliseront
par les femmes irrigueront les champs
de notre vision et de notre labeur éclaireront
la face cachée de notre planète
C’est alors que la femme
disparaîtra de nos fantasmes
et des sources de notre honte
comme le pôle séparé
de la différence
comme un des paliers terrifiants
de notre exil
Mon aimée
tu m’as écrit
et ton poème appelle le poème
L’amour est à réinventer
je l’affirme encore
et il ne s’agit pas de quelque théorie fracassante
qui sortira
d’un jeûne prolongé
de flagellations répétées
dans la caverne des Idées
mais de ce qui est
qui est né
vit et se transforme
dans nos cœurs
nos enfers et paradis intérieurs
dans les expériences qui ont illuminé notre chemin
dans cette marche que nous poursuivons sans relâche
l’un vers l’autre
c’est-à-dire vers le don entier
de nous-mêmes