Ruses de vivant
Ce bout de route devant moi plus proche de la nuit la vraie, la véridique l’incontournable
Je ralentis le pas
Je fais semblant d’admirer le paysage
Ruse de vivant
J’y crois et n’y crois pas
L’arrêt en si bon chemin
quand la lumière enfin
est en visite
pas au chevet
mais au berceau de l’être
Faire provision de cette lumière la porter à la bouche de l’enfance de l’adolescence, de l’âge mûr
En garder un peu
pour l’instant où les yeux bêtement ouverts seront refermés par la plus douce des mains amies
Je me dis qu’il faut être prévoyant
Je ferai donc à temps
mon humble valise
Un ou deux livres
mon numéro matricule
le foulard jaune
de la prophétesse de mes jours une fiole des senteurs de
Fès un zeste d’orange amère un caillou ramassé à
Jérusalem et ce que l’aimée à mon insu y aura glissé
Cela dit
c’est de persister qu’il s’agit
Ne pas oublier
le feuillage ayant cette vertu
les astres inexplorés
qui naviguent à vue
sur les flots de l’éternité
Protéger de ses poèmes nus
la flamme de la petite bougie
Supporter la brûlure de ses larmes
et savoir à temps
la passer au suivant
Brûler de l’intérieur ou sur un bûcher
L’offrande est la même même s’il y a questions et
Question
Dépêchons !
La vie n’attend pas
Même innocents du sang de notre prochain il nous arrive de tuer la vie en nous
Plusieurs fois plutôt qu’une
Le voile
qui nous recouvre les yeux et le cœur
Les barricades que nous dressons
autour du corps suspect
La lame froide
que nous opposons au désir
Les mots que nous achetons et vendons
au marché florissant du mensonge
Les visions
que nous étouffons dans le berceau
La sainte folie
que nous enfermons derrière les barreaux
La panique que nous inspirent les hérésies
La surdité élevée au rang d’art consommé
La religion largement partagée de l’indifférence
Bien des messagers frapperont encore à notre porte
Y aura-t-il quelqu’un dans la maison?
Dites-moi
vers quel néant
coule le fleuve de la vie
C’est quand la dernière fois
que vous vous y êtes baignés ?