Sismiques
Las de crier pour dire
il murmura
sous le manteau du délire :
Muraille
muraille des mots
Nous tous artisans de cette muraille
quand voilà
je veux dire aux hommes
la couleur du chant brisé
célébrant le pays à venir
quand ma nuit rejoint
l’abrupte nuit humaine
et que nous nous entreveinons
comme siamois inséparables
dans les chambres iniques
de la mort sans visage
Muraille
muraille des mots
œillères tentacules
planète investie d’aérolifhes mutants
ogresse marine
son œil de braise ricanant flasque
de dune en dune
tornade d’ammoniaque
soufflant livide l’agreste printemps
Muraille
muraille des mots
cercle de craie avide d’épreuves
jambes lourdes
pour arpenter ce réduit
où j’ai fait réserve de livres
balles
papier rêche
pour la présente confession
Je dis enfin
ce pays qui m’est blessure
dieu tolérable
troisième œil et poumon
sœur-amante au dégel des brasiers juvéniles
ce pays
ossuaire qui lancine
cimetière d’étoiles
s’ébrouant sous le linceul nuptial
des interdits
ce faux pays
traquant ses prophètes
leur arrachant la langue
pour meubler ses insomnies
À qui veut l’entendre
en bien ou en mal
je dis enfin
ce pays en vrac
veuf-orphelin exsangue
ce pays mosaïque de la soif
ce pays dos-rond
ce pays chacal
ce pays d’aveugles-rois en sébiles jaculatoires
ce pays de cafés-urinoirs-prisons
ce pays sismique au carrefour des mitrailles
ce pays tacite
scorpion vidé de son dard
ce pays de tentes en béton
pour ruffians tombés de la dernière pluie
ce pays à crinière de planche mortuaire
ce pays cahin-caha
se délectant de rumeurs
ce pays talisman illisible
pavé dans la mare
ce pays de troc silencieux
petites filles, sueurs, âmes, muscles de fer
ce pays qui n’en peut plus de ses chancres
et qui gave ses chancres
ce pays faucon borgne
inexorable
ce pays coulissant au-delà du désastre
ce pays rictus
de main rituelle
faisant la pluie, les sauterelles
jamais le beau temps
ce pays traquenard millimétré
ce pays où le pain tue
ce pays contrasté jusqu’à la lie
ce pays de tribuns minables
vaccinés contre la vie
la salutaire erreur
la démangeaison du génie
ce pays de légendes déflorées
minotaure hébété
par l’incroyable mais vrai des discours
ce pays frivole
fidèle à sa honte
ce pays qui rit et chante et vivats
juste après avoir enterré ses morts
ce pays qui chavire
tant il s’ignore
ce pays mâle
désespérément mâle
ce pays extrémiste
ce pays qui exile
et s’encombre
ce pays qui parfois se souvient
ce pays consensus
qu’on voudrait voix de son maître
ce pays menacé de famine intellectuelle
ce pays roc perfide
à double tranchant
ce pays soudain
amer
emportant la bouche
ce pays interminable
Ah ce pays qui m’est blessure
invraisemblable passion
je voudrais pour lui
ne serait-ce qu’un jour
où les ténèbres se feront toutes petites
pour que le candélabre incréé de l’utopie
brille de mille feux crédibles
et nargue impunément
les voleurs de soleil
Je voudrais pour lui
ne serait-ce que ce jour
où il se réveillera sans frontières
pour préluder la fin de tout pays
suspendre à ses dômes
le poème-calligraphie multiple
de la nouvelle Déclaration
Je voudrais pour lui
les choses les plus simples
comme ma main accompagnant de caresses
sa douce convalescence
Les choses les plus simples ai-je dit
pain paisible
olives du savoir libre
thé fumant pour baptiser la demeure décente
enfance restituée aux enfants
Fin de la peur
Inaugurale du rêve
descendu sur terre
Puis
tout deviendra possible
Le sobriquet jeté à la corbeille
pour que ce pays devienne message
du pays humain pétri dans toutes les pâtes fédérées
creuset répudiant nom et lieu
accompagnant les migrations amoureuses
levées nomades
incrustées d’indomptables gazelles
symphonie de galaxies venant s’abreuver
au geyser du dégel humain
floraison immatérielle
irriguant le cœur
au-dessus du niveau attesté
des glaces éternelles
tabernacle du sang lavé des haines
coulant pour la seule vie
Lors
nous nous regarderons enfin dans les yeux
Nous aurons lavé la terre de toutes ses souillures
L’apocalypse pourra venir
et elle sera injuste
oui
parfaitement injuste
Ô pays qui m’est blessure
invraisemblable passion
et don
inespéré
je voudrais pour toi
un jour noir
où tu deviendras méconnaissable
où nous mettrons en commun
nos trop-pleins subversifs
pour tordre le cou
aux piètres malédictions qui pâlissent
Et sismiques
coups de boutoir
nos têtes noires
brisant les haches
dansant sur le bûcher
dégorgeant l’eau bouillante
des nappes croupies de nos estomacs en berne
espèce rutilante
lancée à l’assaut de la jungle tribale
rameutant l’orage
du fin fond de l’espiègle azur
Sismiques
hors saisons de semailles et ripailles
âpres vents
sarclant le mal à la racine
chaussant les étriers de la peste
jusqu’au précipice d’une autre mer des ténèbres
Sismiques
tour érigée de bras
flambant neufs
d’une mémoire élargie
aux siècles des siècles
quand le continent tant appelé
émergera à l’horizon des chemins de croix
beau et fort de ses élus
que nous n’avons connus qu’en oraisons
et que nous réhabiliterons dans l’allégresse
Sismiques
sans pleureuses ni bouffons
sans meneurs, généraux, prêtres
sans ordre de marche ni tambours
Non
pas ce poison qui dissemblable
les enfants de la femme
Je voudrais qu’on ne fasse pas un
mais nous
de richesses singulières
sans culte aucun
car nous ne sévirons pas
comme les vulgaires vampires
de l’histoire écrite
nous ne convertirons pas
comme les reîtres
de la trop familière inquisition
nous ne serons
les fossoyeurs
que de la vénéneuse convoitise
Ô pays qui m’est blessure
je voudrais ne plus me réveiller
de mon splendide délire
bercer ainsi
sans discontinuer
la sirène-hétaïre du doute
Je voudrais n’ouvrir les yeux
qu’une fois sur l’autre rive
du fleuve de l’oubli
et te voir, te palper pour de vrai
pays aguerri, non friable
ayant appris à marcher, jouer
rire jusqu’aux étoiles
pays absous
préludant la fin de tout pays
genèse nôtre
où créer serait besoin
mais pas plus que besoin
où Terre
serait havre
de toute diaspora pacifique dans l’univers