De neige rouge pour noël arnaud
Doigté de fer
dans le tunnel de vieux velours
qui passe à travers soi
pour joindre l’ancien double d’ombre
doigté de fer
dans la dentelle de la nuit
qui dégage l’anonymat
la valise pleine de neige neuve
stupéfiante de clarté
doigté de fer
dans le corsage des nuages
dans le grand nid circulaire du monde
dans l’avenir
Des salves de métaphores
aux seins rouges
éclatent comme des fûts de minium
Des mots de vieux mots dangereux
aux voyelles ivres de vivre
aux haillons de miracle
teintés du sang de tous les hommes
explosent en gerbes de cris d’espoir
dans la muraille des poitrines
Des mots en quelques points semblables
aux cailloux d’un enfant
dans la fenêtre d’une école
Des stocks entiers de mots brûlants
à casser comme des cailloux
tel un forçat
dans la carrière où le front heurte
les parois de l’inexprimable
alors qu’en haute mer
je vois un marin
jeter
son cher accordéon par-dessus bord
pour mieux entendre la chanson des flots
Mon interlocuteur avait
soixante bras de prophétie
et trente paires de couteaux
Moi
l’imprudent
j’étais seul
avec ma petite ligne de vie
qui tenait modestement dans ma main
Soudain parfois me renverse
dans l’aurore d’été
le bond d’une joie brutale
comme celui d’un fauve sur sa proie
Et je me sens sans défense connue
contre cette étreinte de chaude fourrure
palpitant de l’angoisse tragique d’une blessure à vie
Dans sa robe d’araignée
la
Sainte aux péchés
aux belles rives sexuelles
interdites
la tête prise dans un sac
Sous sa robe d’araignée
le couteau rouge
le serpent bleu
une étoile défigurée
le filigrane des secrets
Et c’est toujours la même femme condamnée
au rapt brut
aux violences simulées
aux meurtrissures d’innocence
c’est elle sous les liens de fleurs
dans la promesse des parfums
dans la cabane des fougères
c’est elle qui se refuse et s’abandonne
nue et parée
contradictoire et résolue
défaillante défaite définitive
déjà conventionnelle
selon la décevante jurisprudence
de l’érotisme
selon l’étrange et punitive loi du souvenir
Ce roman qui n’aurait plus d’intrigue
aux personnages las
d’avoir plus que longtemps vécu
de s’être combattus en vain
avec des armes enchantées
et qui se reconnaissent enfin du même sang
ce roman que l’auteur laisserait à jamais
faute d’avoir encore pour ses héros
assez d’amour et de patience
ce vieux roman inachevé
serait-ce moi
dont le cœur aujourd’hui s’est lourdement fermé
sur des épaves de conscience
Lorsque doucement tombe la neige
sur la seconde
sur l’immobile mémoire
qui ancre ses racines de sang
dans la lignée obscure et profonde des morts
parfois
le simple meurtre d’un oiseau
pose son piège rouge sur l’immaculé
pour que peut-être
au plus lointain des origines
notre cœur louche saignante encore
la première blessure de bonté
pour
Pol
Bury
Bijoux de sang aux doigts de l’ombre
étrcnnes de la nuit
je vis
dans la technique de vivre
au ralenti
parmi les vieux glaçons de feu
que l’éternel éphémère charrie
d’écluses de souffrance en écluses d’angoisse
je vis
au point culminant du silence
où s’unissent pour un baiser
aux lèvres de la mort celles de la naissance
pour
Marcel
Havrenne
Quand l’homme ne sait plus
sur quel pied mental
danser
pour protéger les plantes de son âme
(elle a des pieds son âme)
on dit que subsiste l’humour
qui
métaphysiquement
doit être
un calot de forçat sur le crâne de
Dieu
Alors même qu’il est prisonnier
dans le réseau des habitudes secondaires
qui ne voient plus
qui sont lettres mortes mentales
un simple objet
d’usage quotidien
de matière et de lignes précises
parvient à recouvrer
en s’égarant
la liberté dialectique de la vie
qu’entre son possesseur et lui
engendre astucieuse et morale
l’antique loi de la nécessité
Entre l’étau de l’éternel
et les corsages d’éphémère
éclatent
écarlate équation
tous les complots d’épingles rouges
parmi les flots de rubans sentimentaux
Le destin tout entier le destin
est comme l’immense trajectoire
d’un invisible boomerang
que lancent vers les inconnus
notre désir et notre cœur
et qui revient vers nous pour le grand crépuscule
Ainsi
sans que nous le sachions
c’est selon notre intime loi
que la courbe se clôt dans notre propre mort
pour
André
Lorent
Au désert de cocagne
nu
comme un théorème violé
je suis cet insecte immobile
qui simule la mort
nu
comme une bêche au soleil
cet insecte qui sait
la longueur d’onde éphémère et précise
de la plus haute destinée
Le poncif de la main coupée
jouant du piano mécanique
et puis trois femmes jadis aimées
se dégageant soudain
d’un scénario étrange et compliqué
et qui vers moi s’en viennent
lèvres offertes
et qui m’accordent souriantes et fidèles
le baiser d’un lointain autrefois
De rive en rive crépusculaires
un sexe de proie dramatique
une panoplie de haine dans l’amour
une fontaine de neige en sang
C’est le désir créant ses métaphores
ses images d’ambivalence
qui défriche son éternité
en quête du symbole ultime de la vie
Janvier 1944 –
Juillet 1944