La panique rouge
Belle parfaite intangible folie
venge-toi
il faut que tu te venges
imagination d’impériale origine
venge-moi
venge-toi
venge-nous tous
brute qui passes
brise-moi la figure si cela te console
tue-moi parmi ce flot de paroles tranchantes
dont j’use pour dire un peu de vérité
vérité aux miasmes redoutables
qui déjà devrait m’avoir mangé
et qui me laisse ridicule et brisé
entre les doigts d’airain de tous les inconnus
et puis quelle blague que tout cela
mais pourquoi venir nous répéter
que nous sommes prisonniers
nous ne sommes pas prisonniers
nous ne le serons jamais
nous répétons que nous sommes libres
nous sommes libres
nous sommes libres
la belle affaire
hélas
chère pauvreté
ce n’est pas assez d’être pauvre
ce n’est pas assez d’être pur
pour être libre
les hommes qui de très loin nous connaîtront
devront savoir un jour
un jour de délire communicable
vers quelle souffrance nous a conduits
une volonté sauvage
et si dure
et si triste
Comment fuir
par où fuir
comment briser le moule
qui enserre notre visage
au regard cependant impérissable
il faut se justifier
tout justifier
les débris de notre cœur
hypocritement recollés
comme un vase précieux de
Chine
qu’un choc pesant aurait brisé
il faut sauver quelque chose
comme une fleur
comme un poison
comme une île
comme un poignard
Parle
pauvre type
pauvre petit propriétaire de désespoir
de moyenne envergure
tu ne pourras même plus honnêtement posséder
l’orgueil d’un aussi petit désespoir
puisque tous les désastres prédits
puisque tous les anathèmes lancés
s’accomplissent aujourd’hui
il n’y a plus que chansons sanglantes d’engrenage
qui vont tout happer sans te happer
qui vont tout tuer sans t’achever
qui vont tout détruire sans ton suicide
il n’y a plus qu’un rouge irréfutable
aux pervenches de nouveaux printemps
aux ailes éclatantes de diadème bleu
9 septembre 1939