La pluie

Aimé Césaire
par Aimé Césaire
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Après que j’eus par le fer par le feu par la cendre visité les lieux les plus célèbres de l’histoire après que j’eus par la cendre le feu la terre et les astres courtisé de mes ongles de chien sauvage et de ventouse le champ autoritaire des protoplasmes

Je me trouvai comme à l’accoutumée du temps jadis au milieu d’une usine de noeuds de vipère dans un gange de cactus dans une élaboration de pèlerinages d’épines -et comme à l’accoutumée j’étais salivé de membres et de langues nés mille ans avant la terre – et comme à l’accoutumée je fis ma prière matinale celle qui me préserve du mauvais œil et que j’adresse à la pluie sous la couleur aztèque de son nom

Pluie qui si gentiment laves l’académique vagin de la terre

d’une injection perverse

Pluie toute puissante qui fais sauter le doigt des roches

sur le billot

Pluie qui gaves une armée de vers comme n’en saurait

nourrir une forêt de mûriers

Pluie stratège génial qui pousses sur la glace de l’air ton

armée de zigzags de berges innombrables qui ne peut pas

ne pas surprendre l’ennui le mieux gardé

Pluie ruche de guêpes beau lait dont nous sommes les

porcelets

Pluie je vois tes cheveux qui sont une explosion continue

d’un feu d’artifice de hura-crépitans

tes cheveux de fausses nouvelles aussitôt démenties

Pluie qui dans tes plus répréhensibles débordements n’as

garde d’oublier que les jeunes filles du
Chiriqui tirent

soudain de leur corsage de nuit une lampe faite de

lucioles émouvantes

Pluie inflexible qui ponds des oeufs dont les larves sont si

fières que rien ne peut les obliger à passer à la poupe du

soleil et de le saluer comme un amiral

Pluie qui es l’éventail de poisson frais derrière lequel se

cachent les races courtoises pour voir passer la victoire

aux pieds sales

Salut à toi pluie reine au fond de l’éternel déesse dont les

mains sont multiples et dont le destin est unique toi

sperme toi cervelle toi fluide

Pluie capable de tout sauf de laver le sang qui coule sur

les doigts des assassins des peuples surpris sous les

hautes futaies de l’innocence

Aimé Césaire

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