Le verbe marronner
à
René
Depestre
C’est une nuit de
Seine
et moi je me souviens comme ivre
du chant dément de
Boukmann accouchant ton pays
aux forceps de l’orage
DEPESTRE
Vaillant cavalier du tam-tam
est-il vrai que tu doutes de la forêt natale
de nos voix rauques de nos cœurs qui nous remontent
amers
de nos yeux de rhum rouges de nos nuits incendiées
se peut-il
que les pluies de l’exil
aient détendu la peau de tambour de ta voix
marronnerons-nous
Depestre marronnerons-nous ?3
Depestre j’accuse les mauvaises manières de notre sang
est-ce notre faute
si la bourrasque se lève
et nous désapprend tout soudain de compter sur nos doigts
de faire trois tours de saluer
Ou bien encore cela revient au même
le sang est une chose qui va vient et revient
et le nôtre je suppose nous revient après s’être attardé
à quelque macumba.
Qu’y faire ?
En vérité
le sang est un vaudoun puissant
C’est vrai ils arrondissent cette saison des sonnets pour nous à le faire cela me rappellerait par trop le jus sucré que bavent là-bas les distilleries des mornes quand les lents bœufs maigres font leur rond au zonzon des moustiques
Ouiche !
Depestre le poème n’est pas un moulin à
passer de la canne à sucre ça non
et si les rimes sont mouches sur les mares
sans rimes toute une saison loin des mares
moi te faisant raison rions buvons et marronnons
Gentil cœur
avec au cou le collier de commandement de la lune
avec autour du bras le rouleau bien lové du lasso du
soleil
la poitrine tatouée comme par une des blessures de la
nuit
aussi je me souviens
au fait est-ce que
Dessalines mignonnait à
Vertières
Camarade
Depestre
C’est un problème assurément très grave
des rapports de la poésie et de la
Révolution
le fond conditionne la forme
et si l’on s’avisait aussi du détour dialectique
par quoi la forme prenant sa revanche
comme un figuier maudit étouffe le poème
mais non
je ne me charge pas du rapport j’aime mieux regarder le printemps.
Justement
c’est la révolution
et les formes qui s’attardent à nos oreilles bourdonnant ce sont mangeant le neuf qui lève mangeant les pousses
de gras hannetons hannetonnant le printemps
Depestre de la
Seine je t’envoie au
Brésil mon salut à toi à
Bahia à tous les saints à tous les diables
Cabritos cantagallo
Botafogo bâte
batuque5 à ceux des favelas
Depestre
bombaïa bombala crois-m’en comme jadis bats-nous le bon tam-tam éclaboussant leur nuit rance d’un rut sommaire d’astres moudangs.