L’irrémédiable

Aimé Césaire
par Aimé Césaire
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Ma grande statue blessée une pierre au front ma grande chair inattentive de jour à grains sans pitié ma grande chair de nuit à grain de jour ma nuit qui êtes une forêt de yatagans au fil de la meule de l’été du désir ma grande source germée d’ancêtres inattendus de chairs inattendues dont chaque pore est un nid d’hirondelles une meurtrière une amérique toutes les femmes qui sommeillaient au fond du souterrain ont pris la route avec leur bâton d’herbe

C’en est fait
Beau comme le jour qui n’a plus que trois jours de vivres dans les soutes de l’avenir

Bel et bien comme éclairé bleu de cicindelle l’oursin rouge du oui dans la citadelle sans espoir de l’eau vierge et des paroles qui fermentent

Bel et bien comme le requin auquel je fais signe et que je caresse par tronçons puérils (penseurs trop vite de l’eau de vie atlantique et royale)

Dans l’eau dans l’eau mon image bassouto jouant au jeu agraire du serpent et de l’eau dans l’eau dans l’eau bel et bien de ton corps le plus proche à une dizaine de millions d’années-lumière de paroles proches et d’herbe claire

Dans l’eau dans l’eau mes noces bassouto de minutes sans semences sans premières sans figures bel et bien d’ablettes manquées de catastrophes filant contre les seins du calfeutrage

Bel et bien…

Les brouettes pleines de terre rouge les paysannes en caraco bleu et blanc de ciel mort se déposent me déposent au fond du temps en conglomérats dans la mer de mes oreilles puis seulement de tes yeux richesses des congres dans les mers endormies très loin dans le temps sans cartouche fraternel de la nuit sans feuille jaune sans automne de cannes à pêche péchant sur le fleuve éternel de la terre brune verte blanche et blessée les climats qui chevauchent des poneys imperturbables très rapides hors de toute agriculture

Bel et bien de niger bleu happé de caïmans

de mon corps libre (ma parole behémot entre les grands fûts blancs du silence ou du mensonge)

de la lumière tuant net (la veine de ton cou à travers la nuit)

de mon cœur germé pur (ma grande statue d’au gui l’an neuf et des eaux de toujours)

Au terminus la vie éperdue déployée devant laquelle cessent de s’exclure la plus haute sérénité et la plus chaude passion mains tendues et creuses charnelles et vertes pour la moisson (au terme) du vortex de flammes furibondes et alliées au nom duquel aiguisent leurs armes puis les rentrent au fourreau pour ne pas se blesser l’Espoir et le
Désespoir

C’en est fait : les mots ont perdu leurs arêtes les mots sont polis car sans besoin les mots évitent de se froisser les mots jouent une moisson où il n’y a de place ni pour vaincu ni pour vainqueur

Les mots se dépassent c’est bien vers un ciel et une terre que le haut et le bas ne permettent pas de distraire c’en est fait aussi de la vieille géographie : plans d’eau inclinant vers les terres même hautes leurs traîneaux de rennes verdâtres paisseurs de palmiers et de caïmitiers au contraire un étagement curieusement respirable s’opère réel mais au niveau
Au niveau gazeux de l’organisme solide et liquide blanc et noir jour et nuit

Bien entendu quelques détails révolutionnaires ont troué le calendrier

Grand navire fou démâté fou dans la salle de mes naufrages forêt couchée sur tes flancs de houille – toutes les toiles à court d’oxygène aux fenêtres du naufrage et des sources irrésistibles – les dieux en paillettes dans le sable accueillent à table d’hôte et d’algues douces les grands gestes dessalés des noyés qui me bâtissent nos figures à coups de villes prises

C’en est fait: la barge du soleil sur ton cou qui depuis 1000 matins brûle ses débarcadères

c’en est fait au premier coup de sifflet de la garde et des anges le bassin de radoub accourra ici les poches pleines de la gloire de
Dieu

C’en est fait: la trahison puante de la terre fermant en pente douce le brouillard urinaire du cadenas de ses chaînes et de son amitié claire comme la larme où ne se cachera pas ma face de scandale

C’en est fait : la lacune à cou de girafe la baliverne à cou pendulaire le flux et le reflux à visage de temps à visage de steppes de blé la catalyse à goût de fleuve et de destin la sandale du vent à l’oreille murmuré le mot que l’homme ne cassera plus son joujou pour y voir et tu traverseras la vie d’un grand cri de flamme dans le copeau tu traverseras d’un pas d’île et de caraïbe la mer (et la terre qui par définition ne saurait être avenir) l’offensive et l’inoffensive la phalange la pha-langine la boulangère et le petit mitron très bien défont très bien les mots très bien les noeuds de strangulation

Au terminus que je m’obstine à appeler «
La
Levée » l’Amour lapant son sang fortifié par ses propres déchirures et le colostrum non dangereux de la
Rencontre nécessaire et futile oui l’Amour complétant son tissu nié par de nouvelles cellules (cancer de vie et de survie) l’Amour arbre-à-pain des minutes l’Amour banian des secondes avec juste entre les grandes heures dé-mesurées les trois coups désormais saugrenus de la cloche des alarmes – souvenir de l’ancienne inharmonie atroce toujours – comme pour rappeler de loin en loin la nouvelle noblesse à la modestie rupestre et avertir encore que la moindre réticence est fragile aux cœurs de fer de sang de verre : les
Vrais
Cœurs

Aimé Césaire

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