Les tombeaux

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par Aimé Feutry
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Au pied de ces coteaux, où, loin du bruit des cours,
Sans crainte, sans désirs, je coule d’heureux jours,
Où des vaines grandeurs je connais le mensonge,
Où tout, jusqu’à la vie, à mes yeux est un songe,
S’élève un édifice, asile de mortels
Aux larmes dévoués, consacrés aux autels.
Une épaisse forêt, de la demeure sainte,
Aux profanes regards cache l’austère enceinte ;
L’aspect de ce séjour, sombre, majestueux,
Suspend des passions le choc impétueux,
Et portant dans nos coeurs une atteinte profonde,
Il y peint le néant des plaisirs de ce monde.

Leur temple, vaste, simple, et des temps respecté,
Inspire la terreur par son obscurité ;
Là, cent tombeaux, pareils aux livres des Prophètes,
Sont des lois de la mort les tristes interprètes :
Ces marbres éloquents, monuments de l’orgueil,
Ne renferment, ainsi que le plus vil cercueil,
Qu’une froide poussière, autrefois animée,
Et qu’enivrait sans cesse une vaine fumée.
De ces lieux sont bannis l’ambition, l’espoir,
La dure servitude, et l’odieux pouvoir ;
Là, d’un repos égal, jouissent l’opulence,
La pauvreté, le rang, le savoir, l’ignorance.
Orgueilleux ! c’est ici que la mort vous attend ;
Connaissezvous… peutêtre il n’est plus qu’un instant :
Coeurs faibles ! qui craignez son trait inévitable,
Osez voir, sans frémir, ce séjour redoutable ;
Parcourez ces tombeaux, venez, suivez mes pas,
Et préparez vos yeux aux horreurs du trépas.

Quel est ce monument dont la blancheur extrême
De la tendre innocence est sans doute l’emblème ?
C’est celui d’un enfant qu’un destin fortuné
Enleva de ce monde aussitôt qu’il fut né.
Il goûta seulement la coupe de la vie ;
Mais sentant sa liqueur d’amertume suivie,
Il détourna la tête, et, regardant les cieux,
À l’instant pour toujours il referma les yeux.
Mère ! sèche tes pleurs, cet enfant dans la gloire
Jouira sans combats des fruits de la victoire.

Ici sont renfermés l’espoir et la douleur
D’un père qui gémit sous le poids du malheur.
Il demande son fils, l’appui de sa vieillesse,
L’unique rejeton de sa haute noblesse ;
Il le demande en vain : l’impitoyable mort
Au midi de ses jours a terminé son sort.
Sa couche nuptiale était déjà parée ;
À marcher aux autels l’amante préparée
Attendait son amant pour lui donner sa foi,
Mais la fête se change en funèbre convoi.
Calmetoi, jeune Elvire ! insensible à tes larmes,
Dans les bras de la mort, Iphis brave tes charmes.

Quels sont les attributs de cet autre tombeau ?
Dans un ruisseau de pleurs l’Amour plonge un flambeau ;
On voit à ses côtés les Grâces gémissantes
Baisser un triste front, et des mains languissantes :
La jeunesse éplorée, et les jeux éperdus,
Semblent encor chercher la beauté qui n’est plus.
Quelle main oserait en tracer la peinture ?
Hortense fut, hélas ! l’orgueil de la nature.
Mais de cette beauté, fière de ses attraits,
Osons ouvrir la tombe et contempler les traits.
Ô ciel !… de tant d’éclat… quel changement funeste !…
Une masse putride est tout ce qu’il en reste ;
Vous frémissez… ainsi nos corps, dans ce séjour,
D’insectes dévorants seront couverts un jour.
Hommes vains et distraits ! quelle trace sensible
Laisse dans vos esprits ce spectacle terrible ?
La même, hélas ! qu’empreint le dard qui fend les airs
Ou le vaisseau léger qui sillonne les mers.

Des sépulcres des grands, voici la sombre entrée.
De quelle horreur votre âme estelle pénétrée ?
Tout est tranquille ici ; suivons ces pâles feux ;
Le silence et la mort règnent seuls en ces lieux.
La terreur qui les suit, errante sous ces voûtes,
Ne peut nous en cacher les ténébreuses routes.
Descendons, parcourons ces tombeaux souterrains,
Où, séparés encor du reste des humains,
Ces grands, dont le vulgaire adorait l’existence,
Ont voulu conserver leur triste préséance.
De l’humaine grandeur pitoyables débris !
Eh ! que sont devenus ces superbes lambris,
Ces plaisirs, ces honneurs, ces immenses richesses,
Ces hommages profonds… ou plutôt ces bassesses ?…
Grands ! votre éclat, semblable à ces feux de la nuit,
Brille un moment, nous trompe, et soudain se détruit.

À l’obscure clarté de ces lampes funèbres,
Sur ces marbres inscrits voyons leurs noms célèbres ;
Lisons : ‘Cigît le grand…’ Brisezvous, imposteurs !
Eh quoi ! des os en poudre ont encor des flatteurs !…
Je l’ai vu de trop près : dédaigneux et bizarre,
Il fut à la fois haut, rampant, prodigue, avare,
Sans vertus, sans talents, et, dévoré d’ennui,
Il cherchait le plaisir qui fuyait loin de lui.
De cet autre, ô regrets ! l’épitaphe est sincère ;
Il fut des malheureux, le protecteur, le père ;
Affable, juste, vrai, rempli d’humanité,
Il prévint les soupirs de l’humble adversité :
La patrie anima son zèle, son courage,
Soub… , il eut enfin tes vertus en partage.
Des vrais grands, par ces traits, connaissons tout le prix,
Mais leurs fantômes vains sont dignes de mépris.

Dans ces lieux, un moment, recueilletoi, mon âme !…
Tombeaux ! votre éloquence, avec un trait de flamme,
A gravé dans mon coeur le néant des plaisirs ;
Cessons donc icibas de fixer nos désirs,
Tout n’est qu’illusion, d’illusions suivie,
Et ce n’est qu’à la mort où commence la vie.

Aimé Feutry

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