Au neutre
On devient ce miroir, cette aube qui se lèche,
Ce livre pour absents, ce rire d’okapi
Dans une basilique.
On invente, on empêche
Le réel, ce microbe — est-ce audace ou dépit ? —
De ronger l’irréel.
On se pense, on ressasse,
On jalouse l’abîme, on se moque de soi.
On vénère le jour où l’on sera limace
Ou perce-neige.
Honneur à tout ce qui déçoit !
La chose la plus digne est de se croire indigne,
On ne sait point de qui.
Vivre, c’est être abstrait
Comme pain pour le blé, comme vin pour la vigne.
Vivre, c’est être veule en brûlant ses portraits.
Royaume disparate…
Il faudrait qu’on s’agite?
On est à l’aise entre les draps de son destin :
Taille bourgeoise, esprit qui connaît ses limites,
Orgueil de poisson rouge, étoiles qu’on atteint
Sans les chercher car elles vivent sous l’armoire.
La peur est confortable.
On pourra s’installer
Parmi l’indifférence et le manque de gloire.
On ne complote rien.
Les sentiments volés,
On les adopte : ils deviendront comme ces vases
Où se balance une araignée sans lendemain.
Assouvis les orgueils, replètes les extases !
C’est un luxe, de fuir le bric-à-brac humain.
Aimable sécheresse.
Au fond de quelle pipe
A-t-on caché son âme?
Est-il vrai qu’on recoud
La comète usagée ?
D’un rictus on dissipe
Le rêve sidéral qu’on porte autour du cou.
On embrasse dix fois la pierre : elle ronronne
Comme ce clavecin mal réparé.
On ment,
Pour rester à l’affût de soi-même, épigone
Heureux de s’imiter.
On est son seul amant.
Au fond de soi l’on flâne, un sycomore en laisse.
On voudrait éviter ce bibelot : le cœur.
Mais on s’émeut comme un touriste qui caresse,
Lassé de sa gondole, un objet sans valeur.
On lit une tulipe, on traduit l’oiseau-mouche
Pour que les sens ne cessent plus de s’étonner;
Cette luxure est toujours brève : sur la couche
Viennent mourir les météores trépanés.
On dure par caprice, épouvante, inertie
Ou certitude molle ?
Encore interpréter
Tant de gestes bavards !
Fins du monde adoucies.
Si l’on pouvait finir dans la sérénité!