Combien sont-ils?
Combien sont-ils au fond de moi ?
Une peuplade :
le je, le toi, l’aller ego, l’être établi, le sous-être nomade,
le petit gars, le saligaud.
Combien sont-ils dans chaque mot, qui me dépècent
comme un cochon qu’on a lardé ?
L’anonyme, le nul, la brute épaisse,
la vierge et le joueur de dés.
Combien sont-ils dans chaque verbe, ô l’adultère
de qui se forge un paradis par le songe et le vent : ils déblatèrent
pour un chou-fleur, pour un radis,
pour une églogue sans refrain, une virgule
qui pourrait être un vieux chiffon ?
Combien sont-ils, de l’aube au crépuscule,
le fou, la pute et le bouffon,
à se nourrir du cœur qui sans arrêt se sème
car il n’a rien à récolter que sa propre douleur ou vive ou blême,
comme un écho déshérité
dont on fait les chansons ?
Combien sont-ils, rapaces :
vautours du vide, aigles sans voix, qui survolent mon livre et, à ma place,
n’osent couver que moi ?