Je dis vrai
Vous admirez peut-être mon aisance
à me dire mourant.
Le désespoir a ses règles, je pense,
et c’est au plus offrant
que je réserve un drame de façade.
Je me veux l’entonnoir des sentiments et des amours maussades
car on n’y saurait voir
que jeux, que dominos, que pirouettes,
avec un air peiné.
Mon vrai visage, il est ailleurs : je guette
un mystère effréné,
mais c’est en vain ; je n’en suis pas capable,
et mon rire finit par me décourager, ô moi, le sable
qu’un vautour dans son nid
couvre de bave ou chasse de son aile !
Ne prenez pas comptant cette fidélité trop infidèle.
Qui perd gagne et le temps
n’arrange pas dans mon âme les choses :
déjà tout est pourri ; un inconnu à moi se superpose
comme pour un pari.
Pardonnez-moi, je vis de stratagèmes
et de pièges fermés.
J’envoie ma lettre à l’ennemi : «
Je t’aime » ;
c’est pour lui réclamer
une altitude avec de la noblesse.
Je dis vrai mais je mens.
Ce que je suis sans vergogne me blesse
par mon dénigrement.