L’autre musique
Ma vie, en toi plus rien ne me convainc.
Raconte-moi la tienne, mon poème,
cela vaut mieux ; rien de divin
à l’origine : du phonème,
du poumon qui se bloque, du cerveau.
Il fallait un détail : le coin de rue, le bref soupir, quelques chevaux pressés, le chemin qui s’obstrue.
Tu es né sans souffrance, par hasard, chez on ne sait quel couple : une voyelle de feu, un baiser en retard sur la tendresse, et tu n’appelles
personne à ton secours : tu es royal, de te savoir invisible, en porphyre
et à toi-même un idéal
qui de s’user veut se suffire.
Tu as frappé l’enfant comme un éclair et tu as perverti quelque jeune homme obéissant ou pur.
Ouvert à l’irréel, tu veux qu’on nomme
« albâtre » un papillon qui boit le sang, « villanelle » un arrêt devant la page,
« mémoire » un poisson caressant
dans un séisme que partagent
plaisir et honte, irraison et raison.
Pour celui qui t’écrit, tu évolues
sans qu’il devienne ta prison.
Le tremblement, l’ivresse élue
font de chaque syllabe une clarté : tu es pour toi ce qui déjà t’échappe,
conscience d’inconscient porté
au vertige du verbe, étape
vers l’inconnu que tu dois investir.
Car tu es le bonheur et le malaise,
la chance d’être et de mourir,
le fleuve qui soudain s’apaise,
l’océan et cela que sans espoir
dans la transe on voudrait enfin comprendre.
Entre tes mots, que puis-je voir, sinon mon
ombre avec ma cendre ?
Pas de biographie !
Commencement, tu es aussi la fin : l’autre musique,
sous la durée que tu démens,
l’oubli de soi par la mystique.