Le mot par le mot
C’est le poème en moi qui écrit mon poème,
le mot par le mot engendré.
Il est mon occupant ; je ne sais pas s’il m’aime.
Mon locataire veut gérer
mon espace vital et, de plus, il me gronde :
peut-être suis-je dans mon tort.
Il m’absoudra un jour; en ses couches profondes,
je lui prépare un meilleur sort.
Nous formerons un couple heureux ; mon allégresse
aura raison de ses soucis.
Il a horreur des trémolos ; il ne me laisse
aucun emploi : ni le récit,
ni le déroulement, ni l’air, ni la musique
car il prétend tout décider.
Mon cerveau se rétracte et ma pauvre logique
vaut moins, dit-il, qu’un coup de dé.
Je suis pour mon poème un squelette inutile,
qui ferait mieux dans un linceul.
Il est adulte, il peut devenir la presqu’île,
l’oiseau, l’azur et le tilleul.
Je n’ai plus rien à dire, ô poète : en silence
je rêve au défi de rêver.
Mon poème sans moi en soi-même se pense,
luxure dont il m’a privé.