Les créations

Alain Bosquet
par Alain Bosquet
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Au premier jour le jour n’existait

Et au deuxième jour

il y avait comme un besoin

qui ne fût ni le jour ni la nuit.

Et au troisième jour

il y avait comme un néant têtu,

et ce néant fut
Dieu.

Au quatrième jour
Dieu dit :

«
Suis-je le jour, suis-je le
Dieu ? »

Et au cinquième jour
Dieu décida :

«
Ceci sera le premier jour. »

Et au sixième jour
Dieu dit :

«
Il faut que je mérite d’être un
Dieu,

et pour cela j’invente l’acte

qui est si monstrueux, qui est si nécessaire. »

Et au septième jour

Dieu fit la terre, et pour noyer la terre l’eau,

et pour sécher cette eau le feu,

et pour éteindre ce feu-là,

le ciel avec le vent.

Et au huitième jour
Dieu avoua :

«
Ma pensée m’est trop faible et mon corps trop chétif »,

et il n’osa rien faire et céda au remords.

Et au neuvième jour
Dieu dit :

«
Puisque je suis tout seul,

j’ai bien le droit de me tromper. »

Il fit un arbre,

et comme l’arbre fut plus beau que lui,

il en devint jaloux.

Et au dixième jour
Dieu fit un animal :

une blatte, un poisson,

et le renne et le tigre

sans qu’ils soient renne tout à fait

ni tout à fait le tigre.

Et
Dieu se dit : «
Je crée, c’est malgré moi. »

Et
Dieu se dit :

«
S’il y avait un autre
Dieu,

serait-il plus intelligent ? »

Et le onzième jour,
Dieu fut très fier de
Dieu.

Et au douzième jour,

Dieu fit la lune et le soleil et les étoiles,

et
Dieu se dit : «
Je suis incompétent

devant l’immensité, mais je m’applique ;

je crée un peu d’ardeur,

et si mon monde à moi ne sert à rien,

il me sauve quand même de l’ennui. »

Et au treizième jour

Dieu se mit à trembler de solitude.

Au quatorzième jour
Dieu fit l’objet :

un grand miroir pour se moquer de soi,

un lit planté de clous pour ne pas s’endormir,

une table très nue

sans sucre, sans orange et sans le moindre pain,

une porte donnant

sur la prairie, sur la montagne.

Et
Dieu leur dit :

*
Marbre, acajou, matière, antimatière,

encombrez-moi : c’est pour mon bien. »

Et au quinzième jour,

ayant brûlé les toits, brisé les vitres,

fondu les cloches,

Dieu dit : «
J’ai besoin de quelqu’un

qui sache en faire usage

et pour faire de moi son employé. »

Puis, au seizième jour, acteur

qui devant le public oublie son rôle,

comme il avait créé le singe ou le moustique,

l’amadou, la poussière ou le roseau,

Dieu créa l’homme.

Du dix-septième jour au vingt-troisième,

on ne sait plus ce que fit
Dieu :

agacement de
Dieu, oubli de
Dieu,

énorme lassitude ?

Puis au vingt-quatrième jour

Dieu réussit à se discipliner :

«
Je t’ai créé, dit-il,

pour donner un exemple,

là-haut dans les royaumes

qui ne dépendent pas de moi,

chez les soleils incompatibles

avec mon beau soleil,

et chez les lunes

si différentes de la lune.

Homme, dis-moi ce que tu penses de ton
Dieu. »

Le vingt-cinquième jour l’homme se tut

comme le vingt-sixième,

le vingt-septième et les jours qui suivirent.

Puis l’homme hurla :

«
Je ne veux plus partager mon pouvoir,

qu’il me vienne de toi ou non.

Je suis ton concurrent, je te remplace. »

Dieu dit : «
Je veux bien, essayons :

ce sera pour moi-même une utile expérience. »

L’homme ajouta :

«
Plus de calculs !
L’éternité,

la mienne et non la tienne,

ne compte pas les jours,

ni les commencements ni les fins douloureuses.

Être est sans date ni forme ni nom. »

Dieu eut du mal à le comprendre

car
Dieu était

et la grandeur et la simplicité.

Et l’homme dit :

«J’impose le mensonge

car au sein du mensonge dort le rêve.

Donc je choisis ce qu’on ne peut choisir :

le sens du monde sera équivoque,

le sens du monde sera hors du monde,

le sens du monde sera dans le verbe

et le verbe lui-même

n’aura jamais de sens.

Tout est mystère et horreur du mystère,

tout est clarté mais peur de la clarté. »

Et soudain entre l’homme et
Dieu,

le caillou dit : «
Et la loi du caillou ? »

Et l’écume cria :

«
Je veux que tout provienne de l’écume. »

Et le sapin clama :

«
Je veux que le sapin soit le monarque. »

Et la pouliche dit :

«
Tout dépend des naseaux, tout dépend des crinières. »

Et l’océan mugit :

«
Je suis la peau de l’univers et sa fortune

et son propre au-delà. »

Et l’homme dit :

«
Tu vois bien,
Dieu, que c’est ta faute :

il faut mourir. »

Et
Dieu dans un dernier effort

entreprit doucement de mourir.

L’homme alors décida :

«
Le monde est une affaire entre moi-même et moi. »

Et l’homme se trompa,

et l’homme s’entêta,

et l’homme se fâcha,

et l’homme s’inventa d’autres dieux moins divins

et moins satisfaisants.

Au dernier jour

un
Dieu inconnu murmura :

«
Ceci sera le premier jour. »

Juin-juillet 1984

Alain Bosquet

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