Les graines du doute
Il flotte un air très doux comme de libellule
sur mon livre fermé.
Le temps s’arrête et le lilas stimule
les mots inanimés,
qu’il réveille soudain.
Je serre dans mes paumes
les restes de l’azur : il est à moi.
Une chanson m’embaume,
et je vois que les murs
amicaux et sereins me ramènent le fleuve
dont j’étais un enfant.
Je suis joyeux, sans en fournir de preuve,
et je ne m’en défends
devant personne.
Un arbre me promène,
voyageur très léger, par le royaume où le mal et la haine
sont tous deux étrangers.
Je caresse une phrase : on dirait la pouliche
à l’ombre du moulin.
Je ne conçois que le bonheur : je triche
car mon sort est vilain.
Je résiste pourtant : écoutez la musique
de ce simple carreau.
J’appelle à l’aide un objet domestique,
un fruit, un bigarreau,
un clou, pour témoigner de cette plénitude
à me dire béni.
Mais mon livre s’entrouvre : ô verbes rudes,
qui brisez l’infini,
vous ne semez jamais que les graines du doute,
au mépris des passants.
Le visage se tord, l’âme est dissoute :
je me couvre de sang.