Meuble
J’ai fait l’effort en moi d’une métamorphose
et me voici divan : j’aurais pu être un miroir, un wagon, la chose
qui nie l’être vivant,
un sceau, un sécateur, la lampe qui s’éclaire,
une simple maison.
Je n’ai plus de conscience et je ne désespère
jamais de ma raison.
Je suis ce que je suis ; on me couvre de laine
pour m’abriter du froid : elle est bleue, elle est mauve ; on dit qu’un coussin
[traîne,
que le dos n’est pas droit,
qu’un brocart ferait mieux.
Doucement, je jubile,
sans être concerné.
Je n’ai pas de remords et je me rends utile
à quelque nouveau-né
ou à quelque vieillard qui s’endort, peu m’importe !
Je suis indifférent, même au tapis, même aux tendresses de la porte,
trop empressée.
Je prends
l’espace qu’on me donne : un objet qui s’occupe
dans son coin, sans discours.
Je mesure dix pieds, ne portant pas de jupe
ni de frange en velours.
Je resterai au même endroit, le fonctionnaire
de l’ennui, du confort dont on dit tant de mal : j’apprends à m’y complaire,
meuble acceptant mon sort.