Origine
Toute origine est recommencement ;
et chaque lieu, sa fuite.
La pierre pense :
«
Pour être pierre j’ai besoin d’un langage, et mon langage aura besoin d’un dieu pour l’imposer à cette pierre que je suis et que je ne suis pas encore. »
Et la pierre déjà se change en papillon, et le papillon pense : «
Pour être seul de mon espèce
et lui servir d’exemple,
ni fauvette ni fleur,
j’ai besoin d’un langage,
et mon langage me viendra d’un dieu
qui dira :
Papillon,
j’exige que tu sois un papillon. »
Mais la pensée comme un zigzag parmi les roses
emporte ses pollens, déchire ses pétales
et n’ose pas choisir parmi ses dix parfums.
Et le vieux papillon
déçu d’avoir tant réfléchi
se change en neige : un peu de neige douce.
Et la neige se met à raisonner :
«
Pour être de plein droit la neige
et non pas la brebis,
et non pas le nuage qui passe,
j’ai besoin de parler,
et ma parole me sera offerte par un dieu
en qui j’aurai confiance
et qui sera très magnanime. »
Et la neige a si peur
d’imaginer qu’elle serait la neige !
Elle devient un vieux mouchoir,
et le mouchoir ne pense pas,
et le mouchoir n’a pas besoin de s’affirmer.
Toute origine est déchirure ;
et chaque lieu, métamorphose.
«Un jour où je doutais de moi », dit
Dieu,
«je suis allé chez mon ami
Shakespeare,
puis je me suis rendu
au domicile de
Rembrandt,
qui se peignait couvert de rides.
Avant de retrouver mon royaume incertain,
j’ai salué l’enfant
Mozart,
à qui j’ai apporté
un clavecin tout neuf.
Ces trois visites m’ont suffi pour m’accepter un peu.