L’enfer de l’immobilité

Alain Jouffroy
par Alain Jouffroy
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Hommes de la rivière, épargnés par les vieux musiciens,
Je convoite vos rames, vos agrès, vos usines !
Votre immensité chaleureuse consume mes cauchemars.
Noyés dans l’euphorique communauté des sangs,
Libres, vos asiles, vos seuils, vos bagnes intacts
Brillent comme des clés sous la lune assassine.
Je suis l’Évanouie.
Les lieux cramoisis
Qui me cèlent à l’intolérance des sectes,
Tragiquement, me crucifient sur la
Merveille.
Mes rideaux, mes linges, mes tombeaux aérés
Respirent la rose indomptable des suspects.
Je suis épanouie.
Tout ploie sous mes boucles.
Ma langueur, mon mutisme, mon entêtement
Trouvent leur écho dans la grimace aride des rochers.
Souple, intelligente, je déçois l’infracassable
Tête aimée.

Soleil lucide de l’enfer,

Médiumnique,

J’ai assimilé l’éponge incestueuse de l’amour.

Mes polices ont dédoublé tous les gouffres,

Mon moule a dérobé la forme de l’angoisse

Aux bas nuages de la menace.

Fécondes glaneuses punies du pal !

Je passe sur vous ma main moite et droguée.

Je vous oins de mon fiel douceâtre

Et dans vos crânes j’embrouille plusieurs destins !

Mes enfants ont jailli, bouquet pervers,

Du sein de la terre ont exigé un ciel protecteur !

Je me suis mêlée à leurs campagnes :

Ils ont frôlé mes reins pour obtenir ma bouche,

J’ai craché dans la corolle de leurs baisers.

Protectrice de leur tornade, de leur razzia,

J’erre sur les terrains vagues de la violence.

ô marcassins !
Seuls enfants suicidés silencieux,

Mes fils !

Ma nuque est comble.
Ma colère antarctique.

Je cravache mes couleuvres, mes ruminants.

La langueur poussiéreuse de mes troupeaux

S’étire le long du labyrinthe où leur gorge est tordue.

ô
Courroucé !
Grand ciel haineux !
Soleil buté !

Usée jusqu’aux os,

Minée par l’engrais putride d’un malheur désuet,

Mes gosses déshabillent ma glotte :

Mon rire est un trou nu.

De ma sphère, je ne puis sortir sauve.

Saine, accablée de santé ancestrale.

Je me meus dans mon mur médullaire,

Le doigt de mes prunelles me chasse devant moi.

Si j’étais l’au-delà, je serais innocente, et non

Celle qui porte un nom, sonde anonyme du même.


Je me respirerais comme un arbre.

Mais, dans mes décombres, je me dénombre mal.

Je me vautre dans un lieu ventilé et malade.

Hors de ma sphère, je me sèmerais, flocon décommandé,

Je me faufilerais dans la renommée aérienne,

Rivale heureuse de l’âme en peine.

Vertigineusement ouverte à des cirques,

Comment, à moi-même, me signifier congé ?

Ma mort me tourne sa non-pensante nuque.

La puissante mâchoire du moi me broie,

Son innombrable grille me guide !

Un rayon suffirait, qui m’évincerait de moi !

Mais de moi à moi-même la distance est infime.

Je souffre, ma mémoire, de n’avoir que mon corps

Pour séjour et pour route !
L’univers me fuit !

Les montagnes s’absentent, esquivent mon dialogue,

Les mots qui me ravissent à ma langue natale

Omettent l’omniprésent atome de ma tête.

Les rougissantes tempêtes de l’écroulement reculent

Devant le traître et calme nonce que j’avance.

Mes mains, mes yeux, mon ventre, solides comme le

soleil,
M’entraînent, de capitale en capitale, jusqu’à mes

larmes !
Je me répéterai, étoilée, sur le front des cadavres.
Apatride, ma silhouette se découpera sur le néant.
Les voyageurs frôleront cet irremplaçable obélisque
Que je dresse dans leur cœur, monument de ma fuite.
Je les connaîtrai ces masques, ces prodiges fantoches
Qui drapent de soir naissant mon errante identité !
Je les convainctai de mes torts, j’existetai
Comme un cri au cœur de leurs certitudes.
Je les supplierai de ne croire qu’à ma mort,
Ce serment dont, vivante, je fus jeune parjure.

Alain Jouffroy

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