Les conditions de l’etre
Je m’ancre dans l’ocre de la terre
Et défends le sol sensible de nos soifs.
Mes centres se rodent,
Tremblent dans l’être de mon sang.
Dans le ventre de mes sentiments,
S’échangent les songes des éléments.
Plongé, noyau étanche, dans mon corps,
Je me hisse, silencieux, à la surface
De ma tête.
Trente couronnes d’uranium
Tournent dans mon cirque.
De doute
Et de cris, les tempes, paratonnerres
De vérités, vibrent — se fêlent
Et, vrillé dans le cœur,
Le bec de l’aigle bâtard
Déployé, herculéen, dans mes nerfs,
S’ouvre et déchire
L’humaine tendresse où je m’acharne.
Les tables multipliées dans mes mains,
Tous les tiroirs de ma mémoire tombés à terre,
À tombeau ouvert dans ma tête
Je m’élève et me précipite
Dans l’eau aveuglante oh j’ouvre
Us yeux.
Je me monte et me greffe et me démonte,
Je sors de moi l’étincelante santé du ciel.
Tout tendu, tout troublé, tout travaillé
Que je suis par la masse,
Je m’étire et m’atteins
Au centre énucléé du noir atome solaire
—
Celui qui fait irruption
Dans la pupille indicible d’un passant.
La morne voiture de la mort s’évite
D’un pied léger.
Mais, corporellement,
L’atroce existence du tigre fait craquer
L’ossature de l’homme libéré.
Ses mains taillées dans l’étoffe de la braise
Illuminent, tremblotantes, l’air vacillant
Du soir européen.
Ses cellules chavirent.
Toute l’éternelle viande tourne
Et traverse l’étrange étang mortel.
Attroupés nez à nez contre la vitre
Des moteurs, énormes mouches de cratères,
Les témoins ligotent les créateurs.
L’atmostphère chargée de pus
Se déplace comme un rhinocéros,
Fonce dans l’ornière innocente du moi.
Coupantes, crachotantes, douloureuses,
Les herses de la conscience passent,
Machines à dévorer l’être inviolé
À l’horizon carnassier de la réalité.
Léger et plein comme une hélice,
Mon corps se chauffe
Et tourne dans son limon.
Marteau, il forge son poids,
Enclume de peau, il cède à sa pression.
Devant l’homme, il change ses calibres,
Ouvre ses objectifs,
Et bleuté par l’aurore aiguë, la peur,
Brise la visière de cristal de sa cabine,
Bascule un instant hors de l’être
Et plaque ses mains sur le moule
Vidé de son cœur chauffé à blanc.
Hostile aux troupes asexuées
Qui ravagent son chantier
Il déclenche la guerre dans ses canines
Et soulève le soleil hurleur
De l’enfant qui boude en lui la terre.
Mon corps a fracassé le bloc immobile
Dont il a surgi
Et choisi
Au-delà des petites flaques contemplatives,
Le risque inextricable
D’être nu au centre des sociétés.
Armé — sans couteaux véhéments
Cruel — il nuit à la paix des acclamés
Il se crée un rayon conductible
Qui traverse les yeux, leur lagune et leur temps
Et blotti comme un ours
Dans sa force, il s’agrippe
Et se noue au torse de sa vérité.
Pris au lasso de la conscience,
Je reste éveillé — dans l’attente unanime
Des travailleurs du pal.
Dans ma main, la corde humide de terre
Oscille et donne le temps au ciel démesuré.
Il est midi.
Je fais mien l’effort obstiné
Du soleil dans la plaie qu’il ouvre
Et ferme chaque nuit.
Même si, affamé,
J’attends mon pain,
Les étoiles de la table miroitante
Entraînent les tourments vers la mer.
Mon entrée répétée dans l’être est mon métier
De tous côtés je dois le pénétrer
Son oubli n’est pas la rivière
N’est pas la chute, n’est pas l’estuaire
Son oubli est un désert — et je suis né!