Poème vertical
En ce jour déjà détaché de sa vieille rive
Oser chercher les mots d’un poème introuvable
Oser recommencer
C’est trop
Trop de cris jugulés trop de villes cuirassées
Ont changé l’univers en une sourde guerre
Pourtant je recommence à cogner à cette double porte
Je m’infiltre dans l’écorce et dans les carapaces
Je suis celui qui fore ses poèmes au fond du pire désert
J’insiste
Je ne veux pas crucifier mon audace
Je sais qu’un camp où l’homme se pulvérise
Un camp secret où l’on empale les cœurs
Empêche de parler de soi comme de l’Étoile du
Nord
Mais trop de tJhéories avortent de trop de crimes
Je veux parler de moi pour dépasser des
Ombres
Tu ne sais pas écrire ton poème
Dit le lecteur des
Grandes
Plumes
Impassibles
Tu parles sans autorité
C’est ma parole qui parle pour moi
Je ne suis pas son policier
Mon poème c’est mon visage qu’il propose
Je ne suis pas son homme d’Église
La poésie n’est pas un défilé de mannequins
La poésie n’est pas un concours de tir aux pigeons
La poésie n’est pas le
Quatuor
Pro
Arte
La poésie n’est pas
Y entité de la révolution
La poésie elle s’improvise
Elle prend le grand large
Elle multiplie ses phares après tous les carrefours
Elle s’enfuit de partout où passe le regard de la mémoire
Coup de vent au fond du
Pot-au-Noir
La poésie c’est je qui l’invente en ce moment
Tu dis n’importe quoi
Tu te fies au hasard
Dit le calculateur
Tu n’as pas de méthode
Tu oublies tes devoirs
Je n’ai pas peur des mots je n’ai pas peur
Un point
Ce n’est pas tout
Je n’ai pas peur de désemparer la poésie moderne
Je n’ai pas peur de désarçonner
Apollinaire
Je n’ai pas peur d’expatrier tous les peureux
Qui tremblent autout du
Maître aux tables des cafés
Je n’ai pas peur de parler sans méthode
Sans dogme
Sans arrière-pensée
Sans accomplir tous mes devoirs de mauvais citoyen
Je n’ai pas peur de ne pas baiser la main du passé
Je n’ai pas peur des colonnes centrales du temple de l’oracle
Je parle comme si de rien n’était
Sans cultiver en moi l’inaccessible rareté
Je dis qu’il faut pouvoir tout dire
Sans respecter les panneaux indicateurs de la
Cité
Il n’est plus temps de tergiverser
Les ennemis de la liberté ont séduit les révoltés
Il n’est plus temps de discuter à perte de vue
À perte de double vue
Les temps de nous détester sont comptés
Tu te justifies trop
Déclare le psychiatre
Où veux-tu en venir
Chuchotent mes amis embattassés
Oui je me justifie j’ai besoin de la justice
Je veux construire ce tribunal où
Y accusé
(je veux dire le jeune homme qui ne cherche pas la gloire)
A droit immuable à la parole
Je sais que les mots gênent
Que les mots paralysent les préjugés
Je sais que certaines phrases ne peuvent être prononcées
En ce temple sévère où nous sommes sermonnés
Je sais que les officiers de la critique ne sont pas fous
Qu’ils défendent les valeurs consacrées envers et contre tout
Je sais (bien sûr) que je ne sais pas tout
Mais je connais les signes d’intelligence
Je les ai utilisés comme abc
J’ai dit
Bonjour aux
Papes sur le ton qu’il fallait
J’ai dit
Bravo à l’instant — idéal — du bon goût
Il n’y a pas de style dans le vol du poisson-volant
Il y a le trait
D’un point à un autre l’oblique incandescente et brusque
Mais le mystère
Il n’y a pas de mystère dans la tuyère à mystères
Il n’y a pas de mystère dans la détention du mystère
Il n’y a pas de patrimoine du mystère
Mais la poésie alors
Le
Grand
P de la
Poésie
La poésie n’a pas de grand
P
Mais alors qu’est-ce qu’elle a
Elle a tout
Elle île tout
Elle océan tout
Sauf le superfétatoire
Sauf le grand
P
Mais alors c’est le chaos c’est le bal des boas
Oui c’est ça
Non ce n’est pas ça
La poésie ne se range pas dans les tiroirs d’une pharmacie
Elle ne supporte ni les étiquettes ni les aide-mémoire
Elle a horreur de la poésie d’hier
Elle dévore les mânes de demain
Vous vous contredisez
Alain
Jouffroy
Oui
Je me contredis
Non
Je ne me contredis pas
Je ne suis pas un pays fixe
Je ne suis pas ma photocopie
Je ne suis pas mon résumé
Je ne suis pas ma bande magnétique
Je veux me contredire pour agrandir mes lendemains
Je ne suis pas l’oreille de
Denys
Je ne suis pas son
Damoclès
Je ne me propose pas comme miroir à penser
Je ne suis pas la
Règle
Je ne suis pas mon
Musée
Mais la
Modernité
La
Tour
Eiffel était moderne
Le premier mousqueton le fut
Les sonnets de
Baudelaire ne le sont plus
La modernité c’est moi à cet instant
Le moi d’hier est déjà monotone
J’en ai par-dessus la pensée du
Moderne et de son
Deutéronome
Par-dessus la tête de tous ces cercueils modernes
Où l’on asphyxie la pensée
Mais alors qu’est-ce que vous aimez
J’aime la
Grèce et j’aime l’Océanie
Mais je n’aime pas tous les
Gréa
Et je n’admire pas tous les masques
J’aime ce qui survient
J’aime ce qui apparaît avec l’intact pouvoir d’un dé
J’aime
Robespierre
Mais je suis contre la
Terreur
J’aime boire un verre d’uzo dans les villages d’Ithaka
J’aime
Magloire
Saint-Aude et j’aime
Antonin
Artaud
Mais je ne suis ni contre
Hugo ni contre
Angèle de
Foligno
J’aime ce qui m’enflamme
Ce qui enfante mes passions
J’aime ce qui me faic aller où je ne suis jamais allé
J’aime
Vunique et j’aime la vérité
Vous n’êtes pas le seul
Alain
Jouffroy
Je ne cherche pas à être le seul
Si j’étais le seul je ne vivrais pas mieux
Et si je nage au-dessus d’un volcan liquide
Si j’avance dans les non et dans les oui des vagues
Si je m’enfonce dans la bouche béante de la mer
C’est que je ne me parle plus comme un père
Je ne me dis plus
Attention à la frontière
Je laisse sur la rive toute prévision
Je suis indifférent aux politiques
Je fais confiance au néant mouvant
Confiance aux voies lactées
Confiance aux purgatoires sans bornes
Confiance aux déserts d’Europe où m’entraîne l’amour
Porté à ce moment où s’effondre la méfiance
Je nais une deuxième fois à la planète
Et je comprends que tout en moi ne comprend pas
Si je ne dis pas quelle est la clé
C’est qu’il n’y a pas de porte à cette profondeur
Il n’y a pas de route à tracer s’il n’y a pas de fond
Et le fond disparaît dès qu’on approche du
Sphinx
Il n’y a pas de passeport pour entrer dans l’oracle
Nul ne joue aux cartes dans la fumée des dieux
Nul ne se donne en spectacle au théâcre des
Aigles
Les issues sont bouchées au-delà du château naturel
La source est méconnue dans le blocus de la pensée
Quelle est la clé de l’arbre sinon l’arbre lui-même
Quelle est la clé du germe sinon sa présence cachée
On ne passe pas —
Le mot de passe n’est pas un pas
Le silence lui-même est un mot qui ne se prononce pas
On débouche sur un nuage où la foudre est un œil
Et si les oiseaux chantent c’est dans le labyrinthe
La forge où je surgis mon sommeil l’a inventée
Et mon sommeil n’est pas moi
C’est l’univets entier
Quand un ami me présente aux visiteurs de l’île 11 reflète une étoile comme un diamant les bougies
Il dit
C’est lui
Mais l’arbre dit
C’est lui du hibou
Quand le vent le questionne sur tous ses habitants
Le ciel n’est pas une conscience et je tombe du ciel
Quand on me dit
C’est vous qui l’avez dit
Non
Ce n’est pas moi
Je ne suis pas mes mots
Je ne suis pas ce regard qui cherche la
Grande
Ourse
L’homme qui se connaît est un miroir dans une tombe
Je ne suis pas un piège
Et quand le tigre est capturé
Je suis ailleurs
Je ne suis pas son supérieur
Le piège est hors du piège
Le piège est dans l’esprit
Où l’on élève un
Temple
Le piège est dans l’Autel
Où l’on croit voir un
Dieu
Les dieux sont dans la pierre
Et quand je ne sais quoi dire la terre tremble pour moi
Je regarde s’ouvrir ces mains que le soleil assiège
Mon corps me masque la lumière où mon esprit est né
Et si par hasard un mot de moi jette un éclair
Le monde autour de moi est le paratonnerre où il se noie