Invitation
Mon cœur est un beau lac solitaire qui tremble,
Hanté d’oiseaux furtifs et de rameaux frôleurs,
Où le vol argenté des sylphes bleus s’assemble
En un soir diaphane où défaillent des fleurs.
La lune y fait rêver ses pâleurs infinies ;
L’aurore en son cristal baigne ses pieds rosés ;
Et sur ses bords, en d’éternelles harmonies,
Soupire l’orgue des grands joncs inapaisés.
Un temple est au milieu, tout en colonnes blanches,
Éclos dans les tiédeurs secrètes du jasmin ;
Des ramiers bleu-de-ciel s’aiment parmi les branches…
Laquelle se mettra la première en chemin ?
Le lac est vert, le lac est bleu ;
Voici tinter le couvre-feu.
Sonnez l’heure aux ondins, petites campanules.
Dame aux yeux verts, Dame aux yeux bleus,
Dame d’automne au cœur frileux,
De votre éventail onduleux
Venez-vous-en bercer le vol des libellules
Du crépuscule…
Les gondoles sont là, fragiles et cambrées
Sur l’eau dormeuse et sourde aux enlacis mourants,
Les gondoles qui font, de roses encombrées,
Pleurer leurs rames d’or sur les flots odorants.
Les nefs d’amour, avec leurs velours de simarres,
Captives en tourment, se meurent sur les eaux…
Oh ! quels doigts fins viendront dénouer les amarres,
Un soir, parmi la chevelure des roseaux ?
Laquelle s’en viendra, quand sonneront les heures,
Voguer, pâle de lune et perdue en un ciel ?
Laquelle au doux sanglot des musiques mineures
Taira dans un baiser le mot essentiel ?
Laquelle — Cydalise on Linda — que t’en semble,
Te laissera l’aimer, le front sur ses genoux ?
Qu’importe… l’âme est triste et leurs baisers sont doux…
Mon cœur est un beau lac solitaire qui tremble,
Ô les Belles, embarquez-vous !