Je n’ose plus aimer
Je n’ose plus aimer : Tous ceux que dans la vie,
Comme un souffle brûlant, mon amour a touchés,
Ont senti se flétrir leur jeunesse ravie,
Et pareils à la fleur qu’un soleil a ternie,
Sur leur tombeau se sont penchés.
J’ai tenu trois enfants sur les fonts du baptême ;
Entre les doigts sacrés l’onde pure et le sel,
Sur ces fronts adorés dont le lis est l’emblème,
Firent couler la grâce et la vertu suprême :
Hé bien, tous les trois sont au ciel !
Mon cœur, tout palpitant d’un amoureux délire,
Sous un regard de femme une fois a frémi ;
Puis la mort est venue, étendant son empire,
Arrêter un baiser, et glacer un sourire
Sur sa bouche ouverte à demi.
J’aimais un jeune enfant : Mon âme était la sienne,
Et ses yeux bleus riaient dessous ses blonds cheveux.
Mais tandis que sa main, sans que rien la retienne,
S’étendait doucement, pour s’unir à la mienne,
La mort se mit entre nous deux.
Un ange, un front modeste, une sœur empressée,
Du plaisir fugitif cueillait avec orgueil,
Au matin de ses jours, la fleur sitôt passée,
Quand la mort, la prenant avec sa main glacée,
La fit tomber dans le cercueil.
Une aïeule berça mon enfance première,
Mais à peine mon cœur commençait à l’aimer,
Que son front a pâli sous le lin mortuaire,
Et que sur le bois neuf de sa funèbre bière
J’ai vu la terre se fermer.
Ma cousine était belle en sa couche branlante ;
Ses yeux levés au ciel n’avaient vu qu’un hiver,
Lorsque sous un baiser d’une lèvre brûlante
J’ai vu sécher soudain, sur sa tige tremblante,
Ce bouton à peine entrouvert.
Et je suis resté seul ; mais leur ombre chérie
Dans le calme du soir m’apparaît sans remords ;
Je vais souvent prier sur une herbe fleurie :
L’enclos du cimetière est déjà ma patrie,
Et ma fête est celle des Morts.