La solitude
Oui, voici bien les lieux que fréquentait Elise ;
C’est ici tendrement que résonnait sa voix ;
C’est là, c’est sur ce banc que je la vis assise
Pour la dernière fois.
Pourtant, rien n’a changé ; l’onde capricieuse
Coule aussi mollement sur les gazons fleuris,
Et des bois effeuillés la brise harmonieuse
Emporte les débris.
Au lever de l’Aurore, un diamant pétille
Sur la rose entr’ouverte et le lis qui blanchit ;
Puis y entre les rameaux, un doux rayon qui brille
Dans l’eau se réfléchit.
Mais à mes tristes yeux la terre est moins fleurie,
Le printemps plus tardif, les berceaux moins couverts ;
Ce bois semble plus grand, la moisson plus flétrie,
Les peupliers moins verts.
Il me faut un ami pour goûter la nature :
Je voudrais un cœur pur qui comprît mes penchants,
Et qui vît avec moi cette jeune verdure
Dont se parent nos champs.
Une voix qui me dise : Oh ! Que la lune est belle,
Que ces arbres sont verts et que le ciel est bleu !
Une main que je presse entre ma main rebelle
En murmurant : Adieu !
Mais mon cœur isolé de tout être qui pense,
S’attache aux compagnons de son exil muet,
Comme l’écume aux flots de l’océan immense
Et l’abeille au bluet.
Tout ce qui vit me plait : La cigale qui chante,
L’insecte qui bourdonne avec un léger bruit,
Et l’oiseau qui gémit une plainte touchante
Près de son nid détruit.
J’aime même le bruit d’une onde qui retombe,
Ou bien, laissant errer mes pas irrésolus,
Lors, je pense aux absents, aux amis de la tombe
Que je ne verrai plus.
Puis, foulant sous mes pieds les feuilles desséchées,
Je dis : Feuilles des bois, tapissez leur séjour ;
Comme eux, avant le temps, du rameau détaché,
Vous n’avez vu qu’un jour !
Et gardant dans mon âme un souvenir fidèle,
Je me repose seul sur le banc de ma sœur,
Où je dis, plein d’amour : Je m’asseyais près d’elle
En rêvant le bonheur !