L’orage
C’était un beau spectacle au milieu des ténèbres.
La lune qui sortait de ses voiles funèbres,
Et qui glissait entre deux tours ;
L’orage qui là-bas s’avançait dans les nues ;
Le château qui voyait, de ses têtes chenues
L’éclair sillonner les contours.
Les arbres, balancés par le vent qui murmure,
Qui secouaient, la nuit, leur longue chevelure,
Avec un bruit religieux.
La cloche du hameau qui tintait l’agonie,
Et l’écho qui mêlait une sombre harmonie
A ce concert prodigieux.
Poètes, voici l’heure où vos têtes divines
Doivent, ainsi qu’une ombre errer sur les collines,
Mesurer les cieux d’un coup d’œil ;
Planer avec l’orfraie aux penchants de l’abîme ;
Mêler des sons confus à ce concert sublime ;
Chercher la gloire ou le cercueil.
Allez la tête haute et l’œil brillant de flamme,
A la tempête en feu mêler aussi votre âme ;
Volez sur la croupe des vents ;
Respirez le tonnerre, enivrez-vous d’orage,
Comparez votre cœur, et voyez si la plage
Gémit autant que les vivants.
Laissez vibrer sur vous les doigts de la nature,
Vous êtes son clavier, et voici, je le jure,
Son heure d’inspiration ;
Elle fera sortir de vos touches divines
Ces accents dont vous-même au milieu des ruines,
Serez en admiration.
Le monde est une harpe immense ; chaque corde
Rend un son merveilleux, se cadence et s’accorde
Sous les doigts d’un musicien.
Le poète qui tient le monde en son génie,
De ce vaste concert répétant l’harmonie,
En est l’écho magicien.