Souvenir
L’haleine jusqu’ici des Zéphyrs inconstants.
Sur l’Océan du monde a gonflé notre voile ;
Et notre frêle esquif à l’abri des autans,
Pour arriver au port suivit la même étoile.
Pour toi le ciel est pur oubliant ses fureurs,
L’Océan sous ta rame, ouvre son flot docile ;
Le vent berce à demi ta gondole mobile ;
Et l’enfance en riant la couronne de fleurs.
Mais moi, qui vais tenter l’élément infidèle,
Moi, qui fuis le rivage et n’entends plus ta voix ;
Courbant mon pavillon, arrêtant ma nacelle,
Je te salue au loin pour la dernière fois.
Adieu, Toi que j’aimai ! Mon âme solitaire
Retrouvait, pour ses chants, un écho dans ton cœur.
S’éloigner d’un ami, c’est quitter le bonheur :
Adieu ! Je serai seul maintenant sur la terre.
Peut-être quelque jour (et ce sont là mes vœux),
Quand la jeunesse aura, de sa main inconstante,
Sur ton front innocent bruni tes blonds cheveux,
Ta nef retrouvera ma nacelle flottante.
Lors, rien ne pourra plus désunir nos amours,
Mais, comme l’alcyon sur des écueils sauvages,
Nous bâtirons un nid, au milieu des orages,
Pour y couler en paix le reste de nos jours.
Lors, du bonheur pour toi si la source est tarie,
Si ton cœur veut gémir ou prier en ce lieu,
Tu trouveras toujours, dans mon âme attendrie,
Des pleurs pour mes amis et des chants pour mon dieu.
Mais, si la mort avant vient fermer ma paupière,
Au cercueil, loin de toi, si je suis endormi,
Donne en pensant à lui, donne à ton vieil ami,
Au moins un souvenir et puis une prière !
Et comme un saule vert, sur le bord du ruisseau,
Abandonne au courant quelques branches fanées ;
Ami, quand tu verras, penché sur le tombeau,
S’effeuiller, jour par jour, tes rapides années.
Quand, près de ton foyer, une troupe d’enfants,
Le soir, viendra siéger au festin de famille,
Suspendue à ton cou, quand une jeune fille
Penchera son beau front sur tes longs cheveux blancs :
En leur montrant mes vers, dis-leur : « C’est l’héritage
D’un poète ignoré qui n’a vécu qu’un jour,
Que je pleure à présent, que j’aimais à votre âge,
Et que j’irai bientôt retrouver à mon tour. »
Ce luth dont les accents vivront dans ta mémoire,
N’aura pas vainement entre mes doigts frémi ;
Car le port le plus sûr est le cœur d’un ami,
Au milieu des écueils où nous jette la gloire.