Julia Alpinula
Soleil, tu disparais sous l’aile de la nuit,
Et mon triste regard vainement te poursuit.
Demain ces monts d’azur te reverront encore ;
Mais Julia demain ne verra pas l’aurore.
De mes jours languissants, que la douleur flétrit,
La flamme vacillante à chaque instant pâlit.
Tu m’entendras, ô toi, redoutable déesse ;
Tu béniras encore ta mourante prêtresse.
Écoutez , vous, échos des bois religieux,
Qui répondiez souvent à mes hymnes pieux ;
Recueillez maintenant, au milieu des ténèbres,
Les soupirs fugitifs de mes accents funèbres :
A mon hymne de mort prêtez quelque douceur,
Car mon dernier moment est mon premier bonheur.
« Descends des cieux, heure silencieuse ;
Le front voilé, tu conduis sur tes pas
Le long sommeil, la paix mystérieuse.
Je te salue, heure de mon trépas !
Quel Dieu cruel nous condamne à la vie
Quand le bonheur ne doit pas l’embellir,
Quand aux soucis elle reste asservie,
Quand nous naissons pour pleurer et mourir !
Tel fut mon sort. Ma solitaire enfance
N’a point connu les baisers maternels ;
Un deuil profond désola ma naissance :
Mes jeunes ans, dévoués aux autels,
Se sont enfuis dans l’ombre et le silence.
Tel quelquefois, sous un ciel rigoureux,
Passe sans joie un printemps nébuleux.
Ainsi de vous s’éloignait l’allégresse,
Jours solennels de ma courte jeunesse ;
Un sort lointain, d’une vague terreur,
Troublait ma vie et glaçait ma pensée ;
Et la douleur dans mon âme bercée,
Pour s’éveiller attendait le malheur.
Le malheur tonne, et ce court sommeil cesse ;
Sa froide haleine effeuille ma jeunesse ;
La tombe ouverte attend mes derniers pas ;
Mais son repos est doux à ma misère ;
J’irai dormir à côté de mon père,
Je te salue, heure de mon trépas !
Unique objet de qui j’étais chérie,
Unique amour qu’on permit à mon cœur,
Ô de mes jours cher et funeste auteur,
Tous mes efforts n’ont pu sauver ta vie !
Ta mort du moins de la mienne est suivie,
Et cet espoir console ma douleur.
O Cœcina ! tes fureurs satisfaites
M’ont vue en vain pleurant à tes genoux,
Humilier les saintes bandelettes
Sans adoucir ton superbe courroux.
Juge inflexible, un juge plus sévère
Saura partout t’atteindre et te punir :
Romain cruel, tu m’as ravi mon père,
Mais ta rigueur ne peut nous désunir.
Je reconnais son ombre glorieuse,
Qui, chez les morts, de loin me tend les bras…
Hâte ta marche, heure silencieuse,
Heure sacrée, heure de mon trépas !
Quelle voix sombre incessamment m’appelle ?
Je vois déjà la fatale nacelle ;
Elle s’avance… Adieu, temple sacré,
Portiques saints, autels où j’ai pleuré,
Parés des fleurs par mes mains moissonnées,
Et que mes yeux ne verront point fanées !
Monts escarpés, rochers, flambeaux des cieux,
Et vous, échos, recevez mes adieux !
Ne pleurez point, ô mes jeunes compagnes,
En confiant ma tombe à ces montagnes.
Je touche au port, et ma mourante main
Suspend aux murs du sacré sanctuaire
Ces saints bandeaux, ce vêtement de lin,
Derniers tributs d’un voyage éphémère.
Quel froid mortel !… quelles ombres ! La nuit
Autour de moi se glace et s’épaissit…
Ce vent léger que mon front sent à peine…
Aube riante, est-ce ta fraîche haleine ?
Du jour naissant tu devances les pas ;
Il va briller… je ne le verrai pas.
Je sens déjà ton aile ténébreuse,
C’est toi… salut, heure silencieuse,
Heure sacrée, heure de mon trépas !… »
Est-ce encore Julia qui doucement soupire ?
Non, c’est le dernier son échappé de sa lyre,
Et comme elle expirant, ce bruit harmonieux
S’affaiblit par degrés et se perd dans les cieux…
Le souffle matinal efface les étoiles,
Et de la sombre nuit repousse au loin les voiles,
Sur les monts azurés l’aurore luit… hélas !
N’avait-elle pas dit : « Je ne la verrai pas ! »