La gloire
Qui ! Moi, moi l’envier, la chercher ou l’attendre ?
Moi, d’un immense écho flatter ma faible voix ?
Non, je n’y prétends point, mais je crois la comprendre ;
Et je m’applaudis de mon choix !
Porter dans ses travaux la flamme au ciel ravie ;
Nouveau fils de Japet douer de traits divins
Une muette argile, et d’un souffle de vie
Animer l’œuvre de ses mains ;
S’abreuver sans relâche aux flots de Castalie ;
Maîtriser à son gré le magique instrument
Qui, du chantre d’Énée au chantre d’Athalie,
A transmis son enchantement.
Émouvoir, éclairer, ou dominer le monde,
Et, frayant le premier de glorieux chemins,
Y laisser après soi cette trace profonde
Que suit la foule des humains,
Voilà, voilà la Gloire ! Un hymne que répète
Des siècles rassemblés le chœur mystérieux,
Et non ce vain plaisir qu’à l’oreille distraite
Apporte un son mélodieux.
Cherchez-la, poursuivez l’éclat qui l’environne,
Remportez sur ses pas un immortel honneur,
Vous, qui l’aimez assez pour payer sa couronne
Au prix de tout votre bonheur.
Bravez, si vous l’osez, cette rumeur confuse
De triomphes bruyants et de blâmes amers,
Et d’un sublime effort arrachez à la Muse
Des chants dignes de l’univers.
Mais moi, qui, bégayant sa langue cadencée,
Jamais n’en attendis, sans art et sans dessein,
Qu’un mot, pour révéler cette intime pensée
Qui mourrait peut-être en mon sein ;
Moi, qui, sans m’asservir aux larmes qu’elle coûte,
Mesurai ses accords à mes pas nonchalants,
Et qui n’ai recueilli sur ma paisible route
Que des sourires bienveillants ;
Contente d’amasser des palmes éphémères,
D’un pins long avenir j’ai sevré mon orgueil.
Il suffit que mes chants, des épouses, des mères,
Bercent ou la joie ou le deuil.
D’un triomphe si doux laissez-moi l’espérance,
Que ces chants entre nous soient un secret lien,
Qu’au nom du sol natal vos cœurs, femmes de France,
Battent à l’unisson du mien !
Si je puis, emportant le seul prix où j’aspire,
Un jour au but fatal reposer sans effroi,
D’un pas inattentif n’éveillez pas ma lyre
Endormie alors près de moi.
Qu’importe si nul bruit ne survit à ma tombe,
Si dans le cercle étroit, par mes accords rempli,
Sitôt que de mes mains le luth s’échappe et tombe,
Règnent le silence et l’oubli !
Le chant du rossignol ne laisse point de trace,
Nulle voix après lui ne redit ses concerts,
Et le doux bruit de l’onde expire sous la glace
Où l’emprisonnent les hivers ;
Mais, dans la nuit muette, un regret qui s’éveille
Est peut-être le prix des accents de l’oiseau ;
Peut-être on se souvient d’avoir prêté l’oreille
Au frais murmure du ruisseau.