Les oiseaux du sacre

Amable Tastu
par Amable Tastu
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Vieux Temple, antique honneur de la cité royale
Où Clovis inclina sa tête martiale
Et sentit, sous la main du pontife sacré,
L’onde sainte mouiller son front régénéré :
N’as-tu pas vu, du sein de ta froide poussière,
Des siècles endormis, se lever l’ombre altière ?
Pour toi les temps passés vont-ils renaître encore ?
Oui ; ta nef resplendit de feux, d’azur et d’or ;
La foule se pressant sous tes muets portiques
Y réveille l’écho des saintes basiliques ;
Et, fière, avec transport tu ressaisis ces droits
D’entendre et de bénir les serments de nos rois.
D’un temple simulé la brillante structure,
Déguisant à nos yeux ta noble architecture,
Nous dérobe, il est vrai, ces pensers imposants
Que réveillent en nous les vestiges des ans ;
Mais de la royauté le faste s’y déploie.
Signes accoutumés de la publique joie,
Le fer luit, l’encens fume, et des autels parés
Les puissants de l’état encombrent les degrés.
Pourquoi, lorsqu’une plainte, un seul cri de détresse
Peut attrister soudain le concert d’allégresse,
Pourquoi des prisonniers ?… Sous ces légers barreaux
S’agitent tristement de timides oiseaux ;
Ils s’efforcent à fuir, d’une aile effarouchée,
Cette pompe des rois qu’ils n’avaient point cherchée.
Pauvres petits captifs ! privés d’un bien si doux,
La liberté, que toute voix réclame,
De vos tyrans ne soyez point jaloux,
Chacun d’eux l’appelle en son âme,
Et des nobles acteurs de cet auguste drame
Aucun n’est plus heureux que vous !
Nul d’un libre loisir ne peut goûter les charmes :
L’immobile soldat est captif sous les armes ;
Son chef, le fer en main, brillant d’or et d’acier,
A l’ordre qu’il transmet doit plier le premier ;
Les spectateurs pressés dans cette vaste enceinte
S’imposent le fardeau d’une longue contrainte ;
Soumis au même joug, le pontife à l’autel
Cède aux liens dorés d’un devoir solennel.
Sous les réseaux du privilège,
Voyez ces fiers prélats, qu’enchaîne sur leur siège
L’honneur de consacrer les suprêmes serments ;
De leur pieux office allongeant les moments,
Le blême ennui qui les assiège
Au milieu d’eux se glisse et siège
Sous les mitres de diamants.

Ennui ! triste ennemi qu’aucun mortel n’évite,
Je ne vois que des jeux où ta langueur habite ;
Du prêtre à l’assistant tout ressent ton pouvoir,
Jusqu’au bras engourdi de ce jeune acolyte
Qui laisse échapper l’encensoir.
Déjà les douze Pairs, qu’en vain la Manche hermine
Revêt d’un éclat féodal,
Succombent à leur tour à ce charme fatal ;
Leur front s’appesantit, leur épaule s’incline,
Sous le bandeau de comte ou le manteau ducal.
Des insignes royaux doublant le faix suprême,
Et fidèle à la majesté,
Il effleure en passant le monarque lui-même
Esclave de sa dignité.
A son souffle glacé, le long des galeries,
Comme ces fleurs d’un jour dans nos salons flétries,
Se décolore la Beauté :
L’éclat pompeux des pierreries,
Le poids des lourdes broderies,
Enchaînent sa légèreté ;
Son inquiète oisiveté
Accusant les heures tardives,
Sur les pas de la Liberté,
Voit s’enfuir les Grâces craintives.

La Liberté ! bientôt vous pourrez l’espérer,
Tristes oiseaux ! voyez, réduits à l’implorer,
Tous ces volontaires esclaves,
Dont un piège flatteur ou de brillants appâts,
Dans cette cage immense ont attiré les pas !
Pressés de s’affranchir, ils invoquent tout bas
L’instant qui rompra vos entraves ;
Le voici !… mille cris s’élèvent à la fois.
Le canon fait gronder sa formidable voix ;
La cloche livre aux vents ses bruyantes volées,
Et soudain, dans les airs, les cohortes ailées
Cherchent d’un libre essor la céleste clarté :
Du bonheur des oiseaux elle est l’avant-courrière ;
C’est pour trouver la liberté
Qu’ils s’élancent vers la lumière.
Mais des vitraux sacrés le jour mystérieux
Déguise ce vrai jour que réclamaient leurs yeux ;
Mais les mille clartés de ces fêtes pompeuses
Abusent leurs regards par des lueurs trompeuses ;
La vapeur de l’encens, les chants religieux,
Le bruit confus du peuple enfermé dans ces lieux,
Les vifs reflets de l’or, tout accroît leur vertige :
Déjà le faible essaim en tournoyant voltige ;
Égarés, éblouis aux flambeaux de l’autel,
Ils cèdent par degrés à cet éclat mortel,
Imprudents ! c’en est fait, leur aile est consumée !
Ils tombent sur les fleurs dont la terre est semée,
Et leur corps palpitant, tout près de s’assoupir,
Aux joyeuses clameurs mêle un dernier soupir !…
— Mais qu’importe un soupir ? sans l’entendre la foule
Sous l’antique portail à flots bruyants s’écoule…
Moi seule je demeure, et consacre tout bas
Les sons d’un luth obscur à cet obscur trépas.

Dormez, dormez, frêles victimes
Des royales solennités.
Tandis que ces chœurs unanimes,
Écho des hautes vanités,
S’élancent des harpes sublimes,
Ma lyre veille à vos côtés.

Innocents Passereaux, et vous, blanches Colombes,
L’universelle joie, hélas ! creuse vos tombes :
Faut-il qu’un deuil se mêle aux plaisirs des mortels !
N’ont-ils point prodigué dans leur fête chérie
Le luxe et ses trésors, les arts et leur féerie,
Et la pompe de nos autels ?
Pourquoi donc à leurs jeux les immoler encore
Ces chantres des bosquets, charme de nos loisirs,
Qu’un souffle du Seigneur dans les airs fit éclore
Pour l’honorer par leurs plaisirs ?

Pourquoi les retenir sous la voûte gothique ?
Leurs cris retentissant de portique en portique
Devaient-ils réveiller l’écho religieux ?
Que ne leur rendiez-vous de leurs forêts natives
Les cintres verdoyants, les mouvantes ogives,
Et la voûte immense des cieux ?
Ce n’est qu’au sein des airs que leur vol se balance ;
Au seul écho des bois appartient leur chanson.
Hélas ! votre avare clémence
N’a fait qu’agrandir leur prison !

Eh ! qu’aviez-vous besoin de peupler vos églises
Des emblèmes vivants de ces vieilles franchises
Qu’au jour du nouveau règne imploraient vos aïeux ?
Quand les temps sont changés, qu’importe à ma patrie
Des mœurs qui ne sont plus la vaine allégorie !
Elle a des biens plus précieux,
Et c’est la Vérité qui plait seule à ses yeux !
Vous que scellent encore les vengeances royales,
Levez-vous, lourds barreaux ; tombez, grilles fatales,
Qu’un pardon descende sur vous :
Si de la Liberté nous invoquons l’image,
Les cachots dépeuplés lui rendront un hommage
Digne d’elle et digne de nous !…

Mais d’où naît ton audace, ô toi, lyre timide ?
Pourquoi t’abandonner à son élan rapide ?
Tu t’élèves, semblable à cet enfant des mers
Qui d’un vol merveilleux tout à coup fend les airs ;
Dans la plaine éthérée, à sa race étrangère,
Il déploie un moment sa force passagère ;
Mais du souple tissu qui soutient ses efforts
Si le jour a séché les humides ressorts,
Du transfuge des eaux alors la chute est prompte,
Et l’élément natal ensevelit sa honte.
Pourquoi veux-tu braver le sort qui t’est promis ?
Lyre, reviens aux chants qui seuls te sont permis…

Dormez, dormez, frêles victimes
Des royales solennités ;
Vous qui, des bois touffus abandonnant les cimes,
Vîntes mourir dans nos cités,
Tandis qu’en vos abris quelques œufs près d’éclore
Froids et seuls reposent encore
Aux nids que vous avez quittés !
Voix du printemps fleuri, que pleuve le bocage,
Du moins en perdant la clarté
Cessez de redouter les réseaux ou la cage ;
Vous rencontrez la mort en fuyant l’esclavage.
Mais la mort c’est la liberté !

Amable Tastu

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