Prélude
Lasse enfin de courir, vagabonde pensée,
Ne reprendras-tu point ton allure passée ?
Ton pas doit-il fouler le pavé des chemins,
Et ta main, sans pudeur, toucher toutes les mains ?
N’as-tu pas regretté, dans tes labeurs profanes,
Forcée à te couvrir de grossiers vêtements,
Ce merveilleux tissu, dont les plis diaphanes
Voilaient, sans les gêner, tes chastes mouvements ?
Reviens, crois-moi, reviens, voyageuse étourdie ;
Lave tes pieds poudreux dans une onde tiédie ;
Reprends ta robe-fée, aux changeantes couleurs,
Tes joyaux de princesse et ton chapeau de fleurs.
Peut-être un ciel plus âpre et des sites plus rudes
Ont grossi les feuillets de tes cartons d’études ;
Et de vulgaires chants, à ton oreille amers,
De quelques frais motifs ont rajeuni tes airs !…
Mais, hélas! aujourd’hui la harpe est incomplète,
Et le temps a soufflé sur l’oisive palette !
Vainement j’appelle
Les mètres confus ;
Leur troupe infidèle
Fuit à tire-d’aile,
Murmure, se mêle,
Et n’obéit plus !
De même bourdonne
Un essaim mouvant ;
A flot monotone,
Ainsi tourbillonne
La feuille d’automne,
Qu’emporte le vent.
Oh ! comment réunir leurs tribus dispersées ;
Ourdir pour enchaîner les mobiles pensées,
Les sons et les couleurs ;
Comme les souples joncs, élégante merveille,
L’un à l’autre enlacés, se courbent en corbeille
Pour se remplir de fleurs ?
Sylphe, à la langue choisie,
Ange, Muse, Esprit des vers,
Doux souffle de poésie,
Qu’as-tu fait de tes concerts ?
Le pauvre oiseau qu’on enchaîne.
Tirant son grain à la peine,
A ce métier perd la voix ;
Autour de sa triste adresse
La foule avide s’empresse…
J’aimais mieux ses airs des bois !
Les voilà, les voilà, tous ces chers infidèles,
Volant au gîte en même temps ;
Ils reviennent à moi, comme un vol d’hirondelles
S’abat sur un toit au printemps !
Comment choisir ? Entre eux, flottante,
Ma main hésite à les saisir ;
Et lasse d’une longue attente,
Ma pensée encore inconstante,
Se dit tout bas : Comment choisir ?
Mais j’en vois un qui, plus près de la terre,
Marche sans pompe et non pas sans danger ;
Mètre conteur, qu’ont su se partager,
Pour l’embellir, La Fontaine et Voltaire ;
Mètre chanteur, qu’adopta Béranger.
Mais le secret de le rendre docile,
Mais ce langage à nos pensers facile,
Écho du cœur par le cœur entendu,
Verbe où se cache une magique flamme,
Charmant l’oreille afin d’atteindre à l’âme,
Ô mes amis, ne l’ai-je point perdu ?