Le Pâtre de la nuit

Anatole Le Braz
par Anatole Le Braz
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De qui surveillaitil les troupeaux ? On ne sait.

Mais, chaque soir, à l’heure où le soleil baissait,
Sur le RocTrévézel on le voyait paraître,
Debout, dans l’attitude immobile d’un prêtre
En oraison devant l’Esprit de ce hautlieu…
Le couchant s’éteignait dans le firmament bleu
Et les ombres des monts, en nappes déroulées
Du front chauve des cairns au sein vert des vallées,
S’épandaient comme un fleuve aux larges eaux, sans bruit
Que buvait cette mer de ténèbres la nuit.

***

Alors, tandis qu’épars sur les gazons des pentes
Erraient les boucs lascifs et les chèvres grimpantes,
Lui, l’homme, il entonnait, pour se sentir moins seul,
Quelque chant qu’un aïeul apprit à son aïeul.
L’air en était si pur, si fervent et si tendre
Que les tourbiers du Yeun s’attardaient à l’entendre,
Heureux de respirer dans l’espace muet
Le peu de songe humain qu’il y perpétuait.

***

Or, un soir, la complainte à peine commencée
Suspendit tout d’un coup son vol, l’aile cassée
Un silence panique enveloppa les cieux ;
Ressaisis par la peur primitive, anxieux
De cet abîme noir, sans vie et sans haleine,
Ce fut en vain que les chemineurs de la plaine
Réclamèrent aux monts les accents du chanteur.
Il se tenait toujours debout sur la hauteur,
Mais l’âme indifférente aux êtres comme aux choses.

Et sa voix gisait morte entre ses lèvres closes.

***

On raconta plus tard que, rêveur éveillé,
La nuit, ô pâtre élu, t’avait émerveillé
En laissant à tes yeux choir ses ultimes voiles…
Tu fus celui qui, le premier, vit les étoiles
Décrocher des arceaux du ciel leurs lampes d’or
Et dans l’éther béant monter, monter encor,
Sans fin, tel un cortège innombrable de vierges
Allant à quelque autel d’enhaut vouer leurs cierges
Par delà des azurs insoupçonnés d’en bas.
Une immense harmonie accompagnait leurs pas,
Selon les lois d’un rythme inconnu de la terre…
Ainsi te fut, diton, révélé le mystère
Dont nul autre avant toi n’avait été troublé :
Le vide universel s’était soudain peuplé,
Les mondes en chantant traversaient l’étendue.

Et, devant leur chanson, la tienne s’était tue.

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