Pleine marge

André Breton
par André Breton
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A
Pierre
Mabille

Je ne suis pas pour les adeptes
Je n’ai jamais habité au lieu dit
La
Grenouillère
La lampe de mon cœur file et bientôt hoqueté à l’approche des parvis

Je n’ai jamais été porté que vers ce qui ne se tenait

pas à carreau
Un arbre élu par l’orage
Le bateau de lueurs ramené par un mousse
L’édifice au seul regard sans clignement du lézard

et mille frondaisons

Je n’ai vu à l’exclusion des autres que des femmes qui avaient maille à partir avec leur temps

Ou bien elles montaient vers moi soulevées par les vapeurs d’un abîme

Ou encore absentes il y a moins d’une seconde elles me précédaient du pas de la
Joueuse de tympanon

Dans la rue au moindre vent où leurs cheveux portaient la torche

Entre toutes cette reine de
Byzance aux yeux passant

de si loin l’outre-mer
Que je ne me retrouve jamais dans le quartier des
Halles

où elle m’apparut
Sans qu’elle se multiplie à perte de vue dans les glaces

des voitures des marchandes de violettes

Entre toutes l’enfant des cavernes son étreinte prolongeant de toute la vie la nuit esquimau

Quand déjà le petit jour hors d’haleine grave son renne sur la vitre

Entre toutes la religieuse aux lèvres de capucine
Dans le car de
Grozon à
Quimper
Le bruit de ses cils dérange la mésange charbonnière
Et le livre à fermoir va glisser de ses jambes croisées

Entre toutes l’ancienne petite gardienne ailée de la
Porte

Par laquelle les conjectures se faufilent entre les pousse-pousse

Elle me montre alignées des caisses aux inscriptions idéographiques le long de la
Seine

Elle est debout sur l’œuf brisé du lotus contre mon oreille

Entre toutes celle qui me sourit du fond de l’étang de

Berre
Quand d’un pont des
Martigues il lui arrive de suivre

appuyée contre moi la lente procession des lampes

couchées
En robe de bal des méduses qui tournoient dans le lustre
Celle qui feint de ne pas être pour tout dans cette fête

D’ignorer ce que cet accompagnement repris chaque jour dans les deux sens a de votif

Entre toutes

Je reviens à mes loups à mes façons de sentir
Le vrai luxe

C’est que le divan capitonné de satin blanc
Porte l’étoile de la lacération

Il me faut ces gloires du soir frappant de biais votre bois de lauriers

Les coquillages géants des systèmes tout érigés qui se présentent en coupe irrégulière dans la campagne

Avec leurs escaliers de nacre et leurs reflets de vieux verres de lanternes

Ne me retiennent qu’en fonction de la part de vertige

Faite à l’homme qui pour ne rien laisser échapper de la grande rumeur

Parfois est allé jusqu’à briser le pédalier

Je prends mon bien dans les failles du roc là où la mer
Précipite ses globes de chevaux montés de chiens qui

hurlent
Où la conscience n’est plus le pain dans son manteau de

roi
Mais le baiser le seul qui se recharge de sa propre braise

Et même des êtres engagés dans une voie qui n’est pas

la mienne
Qui est à s’y méprendre le contraire de la mienne

Elle s’ensable au départ dans la fable des origines
Mais le vent s’est levé tout à coup les rampes se sont

mises à osciller grandement autour de leur pomme

irisée
Et pour eux c’a été l’univers défenestré
Sans plus prendre garde à ce qui ne devrait jamais finir
Le jour et la nuit échangeant leurs promesses
Ou les amants au défaut du temps retrouvant et perdant

la bague de leur source

O grand mouvement sensible par quoi les autres

parviennent à être les miens
Même ceux-là dans l’éclat de rire de la vie tout encadrés

de bure
Ceux dont le regard fait un accroc rouge dans les

buissons de mûres
M’entraînent m’entraînent où je ne sais pas aller
Les yeux bandés tu brûles tu t’éloignes tu t’éloignes
De quelque manière qu’ils aient frappé leur couvert est

mis chez moi

Mon beau
Pelage couronné de gui ta tête droite sur tous ces fronts courbés

Joachim de
Flore mené par les anges terribles

Qui à certaines heures aujourd’hui rabattent encore

leurs ailes sur les faubourgs
Où les cheminées fusent invitant à une résolution plus

proche dans la tendresse
Que les roses constructions heptagonales de
Giotto

Maître
Eckhardt mon maître dans l’auberge de la raison


Hegel dit à
Novalis
Avec lui nous avons tout ce qu il

nous faut et ils partent
Avec eux et le vent j’ai tout ce qu’il me faut

Jansénius oui je vous attendais prince de la rigueur
Vous devez avoir froid

Le seul qui de son vivant réussit à n’être que son

ombre
Et de sa poussière on vit monter menaçant toute la

ville la fleur du spasme
Paris le diacre

La belle la violée la soumise l’accablante
La
Cadière

Et vous messieurs
Bonjour

Qui en assez grande pompe avez bel et bien crucifié

deux femmes je crois
Vous dont un vieux paysan de
Fareins-en-Dôle
Chez lui entre les portraits de
Marat et de la
Mère

Angélique
Me disait qu’en disparaissant vous avez laissé à ceux

qui sont venus et pourront venir
Des provisions pour longtemps

Salon-Martigues, septembre 1940.

André Breton

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