L’amérique
Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre,
Qui n’entends que la voix de mes vers, et les cris
De la rive aréneuse où se brise
Thétis.
Muse,
Muse nocturne, apporte-moi ma lyre.
Comme un fier météore, en ton brûlant délire,
Lance-toi dans l’espace ; et pour franchir les airs,
Prends les ailes des vents, les ailes des éclairs,
Les bonds de la comète aux longs cheveux de flamme.
Mes vers impatients élancés de mon âme
Veulent parler aux
Dieux, et volent où reluit
L’enthousiasme errant, fils de la belle nuit.
Accours, grande nature, ô mère du génie.
Accours, reine du monde, éternelle
Uranie,
Soit que tes pas divins sur l’astre du
Lion
Ou sur les triples feux du superbe
Orion
Marchent, ou soit qu’au loin, fugitive emportée,
Tu suives les détours de la voie argentée,
Soleils amoncelés dans le céleste azur
Où le peuple a cru voir les traces d’un lait pur;
Descends, non, porte-moi sur ta route brûlante;
Que je m’élève au ciel comme une flamme ardente,
Déjà ce corps pesant se détache de moi.
Adieu, tombeau de chair, je ne suis plus à toi.
Terre, fuis sous mes pas.
L’éther où le ciel nage
M’aspire.
Je parcours l’océan sans rivage.
Plus de nuit.
Je n’ai plus d’un globe opaque et dur
Entre le jour et moi l’impénétrable mur.
Plus de nuit, et mon œil et se perd et se mêle
Dans les torrents profonds de lumière éternelle.
Me voici sur les feux que le langage humain
Nomme
Cassiopée et l’Ourse et le
Dauphin.
Maintenant la
Couronne autour de moi s’embrase.
Ici l’Aigle et le
Cygne et la
Lyre et
Pégase.
Et voici que plus loin le
Serpent tortueux
Noue autour de mes pas ses anneaux lumineux.
Féconde immensité, les esprits magnanimes
Aiment à se plonger dans tes vivants abîmes;
Abîmes de clartés, où, libre de ses fers,
L’homme siège au conseil qui créa l’univers;
Où l’âme remontant à sa grande origine
Sent qu’elle est une part de l’essence divine.