Frontières
Qui a promis la terre promise ?
Dieu avait plus d’un slogan dans son sac à prophéties,
et plus d’un rêve de sang en lieu de lait et de miel.
C’est une malédiction moderne qui a imposé des bornes et des barrières aux horizons nomades,
aux horizons que les caravanes empruntaient à leur guise, à leur rythme, à leurs risques et périls certes,
mais librement, librement.
Les confins, les lisières avaient un goût de défi et d’appel,
un goût de mémoire inconnue.
On partait avec des cartes incertaines où tout était possible.
Le désert et le gîte.
L’embuscade et la steppe.
L’altitude et la soif.
Le vertige et la plaine.
Zones sans gardes ni entraves, passages livrés aux pèlerins, aux voyageurs, aux insoumis,
terrains si vagues qu’ils touchaient aux songes et au ciel.
En marge se projetaient tous les élans du cœur.
Les frontières désormais tiennent le centre et les rives, s’inventent des rendez-vous sur un surcroît de ruines,
sortent de partout comme des licols d’importation jusqu’à étrangler le moindre désir d’espace,
le moindre sursaut de souffle
et toute vie intérieure.
La loi des états semble le contrecoup panique de la grand peur qui hante les sédentaires.
Et les pays cadenassés pullulent.
Et ils s’accrochent à leurs limites.
Et ils contrôlent.
Et ils répriment.
Et ils tuent.
La loi des états est la pire imposture.
Les pays oubliés crèvent dans une poussière d’exil, dans des bivouacs de boue,
dans le non-lieu d’une vieille blessure.
Ils échangent remords pour vengeance, légende pour programme, servitude pour servitude,
avec dans le sablier la même dose de poison que d’espoir.
Car les frontières existent au dehors, au dedans.
Les frontières existent comme rarement sur terre et dans les têtes.
Leur pouvoir d’étouffement n’a jamais été aussi nocif.
Aussi aveugle.
Aussi sanglant.
Leur treillis n’a jamais été aussi serré.
Aussi poisseux.
Aussi dément.
Car les frontières existent et renaissent
à la solde des milices, des clergés et des clans.
Pour un mur abattu, combien de solitudes bardées de barbelés ?
Combien de nations ressuscitées aux forceps et changées aussitôt en autant de fosses communes ?
C’est la nouvelle lutte finale.
Tous contre tous.
Frère contre frère.
Voisin contre voisin.
Dieu contre
Dieu.
Qui a promis la terre promise ?