L’arbre-sec
Passée cette ombre petite et pauvre
l’horizon prenait couleur d’hérésie —
un dos de dragon
le tranchant d’une épée empoisonnée
un souffle abstrait dans la poussière du ciel,
ce n’était plus un refuge
mais une chimère noire
une bague de néant
qu’un cavalier d’apocalypse
avait tenue entre ses dents
pour la fée folle des sables.
Au confluent des peurs
seul et sec
l’arbre était
l’êpouvantail du vide.
Il voyait le monde aveugle
le monde sans raison ni saisons
le monde de l’anathème
et du poignard dans l’épaule.
Il écoutait le chant d’un espace sans o
la plainte des esprits calcinés —
plus un rire pareil au repentir de l’Ange.
C’était lui jadis
qui était venu dans un rêve dt roi
mettre à pleine voix
le saccage :
Abattez l’arbre, brisez ses branches,
arrachez son feuillage, jetez son fruit,
que les bêtes fuient son abri
et les oiseaux sa ramure.
Mais que restent en terre
dans des liens de bronze et de fer
la souche et les racines…
La malédiction fut pain béni,
aliment des pillards et des femmes
en peine dans le désert.
Non la limite n’était pas si proche
ni l’inconnu cerclé de flammes,
il y avait un au-delà aux pensées encloses
un au-delà aux brumes enracinées
aux tourments du
Jeu de saint
Nicolas
aux outrages de l’émir de l’outre-Arbre-Sec
et à toutes les légendes qui clouent
les remords sur les ombres,
un au-delà que suivaient les caravanes.
Plus loin c’était encore de l’aube des mystères et des nuits trouées des hommes qui épousaient la guerre ou qui la répudiaient par amour du destin, c’était des champs de riz des vergers de mûriers des crissements de soie aux doigts des musiciens et même la voix prise de boisson d’un poète qui liait les étoiles au linceul
au turban dénoué de son front pour un départ désinvolte.
Sur la ligne de partage des fanatismes –
rives de soir et de soif
de sueur et de sens,
les feux renaissaient.
Les déserteurs avaient inventé
la fraternité de tous les dangers
chacun s’exilait d’un pays qui n’était
pas tout à fait le sien
d’un temps qui n’était pas
d’un dogme qui n’était pas tout à fait
d’un songe qui n’était pas tout à fait le sien.
L’arbre mort du
Khorassan
aiguisait le désir d’outrepasser
de fuir de disparaître de changer d’éternité.
Adieu
Bagdad adieu
Byzance
adieu les grands dieux assassins
gavés de pommes rouges,
les sans-nom sur la terre aimaient
Balkh
Babylone
Gayâ
Khotan et les temples engloutis
les ruines où nichent les gypaètes
les sentiers qui s’égarent les âmes infinies –
ce qui donne à la vie la présence et l’oubli.