L’aura des choses
II
Au premier matin
après le déluge
les hommes ont touché terre
à
Manali
presque tous s’en furent suivre le reflux des eaux dans le sens de la pente dans le sens de la vie
il y en eut trois ou quatre à contre-courant pour remonter les éboulis découvrir l’impossible
l’Himalaya autrement dit
les autres vers l’aval se donnèrent l’illusion d’avoir recréé le monde
III
Feu d’ombre source noire toujours encore le creux du corps
il y a là majesté nue un désir êcorché qui tient à vif le nerf des temps
ce n’est que le secret d’un cri aveuglé comme syncope sous la bouche
fauve dans le blanc de l’instant sans foi ni leurre ni reniement
IV
Créer en pays aride éloigné de tout
seul avec le sable et cette soif qui change les lèvres en syllabes de sel
parole qui se tait
au désir absolu de boire
sa propre soif
espoir qu’une rosée de lumière devienne le don peut-être d’une déesse amoureuse silencieuse et absente
V
Un chemin quel chemin?
un espace quel espace?
le mouvement fait signe la vision s’accomplit
sursaut des songes de la matière évasion de la matière des songes
c’est un volcan de lumière qui laisse en marge sa mémoire pour être bloc de présent dans la distance abolie
l’effraction a pouvoir d’aimanter la part lyrique
VI
Un paysage quel paysage?
un horizon quel horizon?
ce sont les limbes des songes les montagnes secrètes et le ciel réunis dans les choses
l’incarnation des tourments l’incarnation des traces et des morts l’incarnation des lueurs qui ont mené les corps
de la buée sur le seuil et une haleine au loin
VII
Partir au plus pressé n’importe où
caresser des os et des dents des stèles effacées des portes vides
il y a ce silence auquel ne manque aucun mot
mais qui veut la bouche d’un voyageur égaré le souffle d’une sombre cavalière
VIII
L’Univers est son hôtel
il passe au galop devant les
Ogadins
un lion mange son cheval
lui
le piéton
l’indépendant à outrance
l’impatient solaire
lui
dans la nuit des pierres
et la colère
où l’espace est donné
où le lieu
est un cratère
sitôt brûlé
tôt impossible
et sans fin
IX
Celui-là ne chante pas pour les autres.
Ni à leur place.
Ni en leur nom.
La vie lui a été bonne fille.
Il a choisi sa route.
Peu d’obstacles.
Nulle entrave.
Il n’a pas connu la guerre.
Pas connu la faim.
Peu de souffrances.
Et des cœurs accueillants.
Le voile des choses s’est levé plusieurs fois à son approche.
Il sait l’éblouissement et les instants sublimes.
L’absence des dieux ne le tourmente guère.
Il aime le sable et le vent.
Aimera la poussière.
Ne parlera plus de lui.