Le bel absolu
La vie commence à
Zanzibar droit devant où nous n’allons pas la vie commence de ce côté où l’âme nous viendrait à la bouche.
J’ai vu souvent ce désir sur la mer souvent cette aile rouge dans les sables souvent cette buée d’impatience dessus la peau du monde dessus la plaie du monde
et me souviens
que je me souvenais de travers
du refrain du
Chant des canons
comme si une parodie de quat’sous
se devait de m’offrir une virée de prince.
Dans ma mémoire jamais les soldats ne marchèrent * du
Cap à
Couch
Bebar » mais martelé à mon rythme : « du
Gange à
Zanzibar ».
Pas de doute
je trafiquais un air connu
les sons portaient le sens
très au-devant de moi
très au-dedans des temps.
Les mots se faisaient la valise.
Il n’était pas question de taire les e muets.
«
Le canon ton-ne «
Les pas réson-nent «
Du
Gange à
Zanzibar «
La pluie peut bien tomber «
Nous pouvons bien crever «
Le cœur nous dam-ne «
Nous sommes infâ-mes «
Du
Gange à
Zanzibar…
La musique ne changeait pas seule la dérive des paroles où le soleil cramait le bronze où les voix effaçaient les pas où l’amour ne se damnait plus comme si les tueries s’étaient tues.
«
Le soleil ton-ne «
Les voix réson-nent «
Du
Gange à
Zanzibar «
Le vent peut bien tomber «
Nous pouvons bien crier «
Coûte que coû-te «
Nous sommes en rou-te «
Du
Gange à
Zanzibar…
Les bruits de bottes
s’égarent dans la poussière
ne restent guère que les ombres sonores
de cadences guerrières
passées à l’impossible
avec armes et bagages.
«
L’âme déton-ne
«
Les corps s’éton-nent
«
Du
Gange à
Zanzibar
«
Le feu peut bien brûler
«
Nous pouvons bien flamber
«
Notre infortu-ne
«
Décroche la lu-ne
«
Du
Gange à
Zanzibar…
Ce n’est plus qu’un murmure une rumeur d’oubli sur la face nord de l’horizon sur la face nord de la fournaise quand la colère s’est clouée au fond de la
Mer rouge.
Ce n’est plus qu’une attente une fausse agonie qu’un rien pourrait laver s’il suffisait d’en rire.
Là-bas est le secret de l’autre là-bas est le sel de la vie là-bas est l’accès au trépas
là-bas le bel absolu danse aux bras d’une inconnue
voire de l’inconnu en personne ou peut-être d’une infirmière.
On ne sait plus ce qui nous perd. À toute heure du jour et de la nuit la désertion est une aube le silence une source la lumière une fée
laissée en appelant au démon de midi.
On ne sait plus ce qui nous fuit ce qui nous suit ce qui nous saigne.
Tu as les pieds sur terre
et fais le saut de l’ange
dans tout ce vide que creusent en toi
des désirs de saint-corsaire
de rat des sables ou d’insoumis
sans nom sans cause sans descendance.
Au diable le retard de
Dieu
sur le meurtre des choses
la corrosion de l’infini
la discordance des corps et des temps!
L’île s’est engloutie au soleil
avec ses caps d’éternité
ses plages trop blanches
ses clous de girofle contre les rages de dents.
Il n’y a plus de comptoirs
où compter l’or
tirer les dernières cartouches
caler ses exaspérations sous les ventilateurs.
Il y a un songe troué à la place de la tête
une effraction de soi
qui vous jette au-dehors
seul comme un tueur de chiens
qui répandrait des aumônes.
L’île revient à l’abordage
chaque fois que s’ajourne un départ
elle est là plus loin qu’ici
dans un futur-présent délivré de maintenant
elle est là
intense et chimérique
en offrande acharnée à forcer
le seuil d’une plénitude pleine et entière.
Mais ça manque de dépeupleurs
de noceurs infertiles
d’amants aussi beaux que des dieux éphémères
d’hommes en exil d’espèce!
Tu es à l’écart de toi-même
dans cet espace dès toujours blessé
où être et ne pas être
forment unique réponse.
Le réel vacille
de turbulences de bon secours
en malédiction sans réplique.
Le réel endure son mouvement
d’éclair métronome
et tu te tiens sur la corde raide de tes nerfs
tu mets l’au-delà en faillite
tu t’absentes à la moindre effusion.
On veut rejoindre ce qui nous perd
on veut passer en catastrophe
par la demeure inaltérable
par le cristal de long effort
par le souffle d’ardente joie
on veut et l’écho et la voix
avec en prime cet inconfort
qui laisse en cendres les dépouilles.
Là-bas le bel absolu danse il est impératif et clair…
La vie commence de ce côté où l’âme nous viendrait à la bouche la vie commence à
Zanzibar droit devant où nous n’allons pas.