Le bel absolu

André Velter
par André Velter
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La vie commence à
Zanzibar droit devant où nous n’allons pas la vie commence de ce côté où l’âme nous viendrait à la bouche.

J’ai vu souvent ce désir sur la mer souvent cette aile rouge dans les sables souvent cette buée d’impatience dessus la peau du monde dessus la plaie du monde

et me souviens

que je me souvenais de travers

du refrain du
Chant des canons

comme si une parodie de quat’sous

se devait de m’offrir une virée de prince.

Dans ma mémoire jamais les soldats ne marchèrent * du
Cap à
Couch
Bebar » mais martelé à mon rythme : « du
Gange à
Zanzibar ».

Pas de doute

je trafiquais un air connu

les sons portaient le sens

très au-devant de moi

très au-dedans des temps.

Les mots se faisaient la valise.

Il n’était pas question de taire les e muets.

«
Le canon ton-ne «
Les pas réson-nent «
Du
Gange à
Zanzibar «
La pluie peut bien tomber «
Nous pouvons bien crever «
Le cœur nous dam-ne «
Nous sommes infâ-mes «
Du
Gange à
Zanzibar…

La musique ne changeait pas seule la dérive des paroles où le soleil cramait le bronze où les voix effaçaient les pas où l’amour ne se damnait plus comme si les tueries s’étaient tues.

«
Le soleil ton-ne «
Les voix réson-nent «
Du
Gange à
Zanzibar «
Le vent peut bien tomber «
Nous pouvons bien crier «
Coûte que coû-te «
Nous sommes en rou-te «
Du
Gange à
Zanzibar…

Les bruits de bottes

s’égarent dans la poussière

ne restent guère que les ombres sonores

de cadences guerrières

passées à l’impossible

avec armes et bagages.

«
L’âme déton-ne

«
Les corps s’éton-nent

«
Du
Gange à
Zanzibar

«
Le feu peut bien brûler

«
Nous pouvons bien flamber

«
Notre infortu-ne

«
Décroche la lu-ne

«
Du
Gange à
Zanzibar…

Ce n’est plus qu’un murmure une rumeur d’oubli sur la face nord de l’horizon sur la face nord de la fournaise quand la colère s’est clouée au fond de la
Mer rouge.
Ce n’est plus qu’une attente une fausse agonie qu’un rien pourrait laver s’il suffisait d’en rire.

Là-bas est le secret de l’autre là-bas est le sel de la vie là-bas est l’accès au trépas

là-bas le bel absolu danse aux bras d’une inconnue

voire de l’inconnu en personne ou peut-être d’une infirmière.

On ne sait plus ce qui nous perd. À toute heure du jour et de la nuit la désertion est une aube le silence une source la lumière une fée

laissée en appelant au démon de midi.
On ne sait plus ce qui nous fuit ce qui nous suit ce qui nous saigne.

Tu as les pieds sur terre

et fais le saut de l’ange

dans tout ce vide que creusent en toi

des désirs de saint-corsaire

de rat des sables ou d’insoumis

sans nom sans cause sans descendance.

Au diable le retard de
Dieu

sur le meurtre des choses

la corrosion de l’infini

la discordance des corps et des temps!

L’île s’est engloutie au soleil

avec ses caps d’éternité

ses plages trop blanches

ses clous de girofle contre les rages de dents.

Il n’y a plus de comptoirs

où compter l’or

tirer les dernières cartouches

caler ses exaspérations sous les ventilateurs.

Il y a un songe troué à la place de la tête

une effraction de soi

qui vous jette au-dehors

seul comme un tueur de chiens

qui répandrait des aumônes.

L’île revient à l’abordage

chaque fois que s’ajourne un départ

elle est là plus loin qu’ici

dans un futur-présent délivré de maintenant

elle est là

intense et chimérique

en offrande acharnée à forcer

le seuil d’une plénitude pleine et entière.

Mais ça manque de dépeupleurs

de noceurs infertiles

d’amants aussi beaux que des dieux éphémères

d’hommes en exil d’espèce!

Tu es à l’écart de toi-même

dans cet espace dès toujours blessé

où être et ne pas être

forment unique réponse.

Le réel vacille

de turbulences de bon secours

en malédiction sans réplique.

Le réel endure son mouvement

d’éclair métronome

et tu te tiens sur la corde raide de tes nerfs

tu mets l’au-delà en faillite

tu t’absentes à la moindre effusion.

On veut rejoindre ce qui nous perd

on veut passer en catastrophe

par la demeure inaltérable

par le cristal de long effort

par le souffle d’ardente joie

on veut et l’écho et la voix

avec en prime cet inconfort

qui laisse en cendres les dépouilles.

Là-bas le bel absolu danse il est impératif et clair…

La vie commence de ce côté où l’âme nous viendrait à la bouche la vie commence à
Zanzibar droit devant où nous n’allons pas.

André Velter

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