Le temps du blasphème

André Velter
par André Velter
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1

Hors du présent pas de réalité

alors même que le présent est

une ombre en plein midi qui s’efface pas à pas.

Que dire du passé qui n’est

que l’image décalée de ce qui a si peu été?

Songe d’un songe qui prétend tracer la voie

et parfois

faire la loi

et parfois

semer des frontières

dresser des potences

allumer des bûchers.

Ce passé-là est un fossile qui tue.

Il est aux ordres.

En son nom prolifèrent les bourreaux et les prêtres

les exégètes et les censeurs.

En son nom s’imposent la norme et les racines

le suif des certitudes

la haine de l’inconnu.

Mais il est un autre passé

qui garde son aimantation d’horizon troué

sa force d’appel à n’être

jamais tout à fait là où soi-même l’on s’attend

jamais tout à fait là où quiconque nous attend.

2

Le retour dans le temps est toujours un détour

qui mène sensiblement au-delà.

Nous sommes sortis du cercle.

Place à l’ellipse à défaut de l’éclipsé.

Les traces pourtant se découvrent d’autres territoires

loin des mausolées ou des sables.

Des territoires qui ne s’effacent pas facilement

tant ils existent peu.

Quand il se fait un sang d’encre, le sang

disparaît mot à mot sous les ratures.

La souffrance ou l’amour déchirent des nuages de papier

et cela crie de douleur ou de joie

sur l’autre versant de la réalité.

Il y a comme une absence mise au présent

dans ce que nous cherchons

et qui parle de violence et de deuil

et qui parle d’une plage noire avec tout l’océan

sur le fil étroit, aiguisé, d’un reflet de lune

et qui parle d’un vide si vif qu’il écorche le cœur.

3

Je sais : la poésie est fille du sacré.

Mais fille de mauvaise vie

qui met en toute chose la transcendance

et le chant :

dans les pierres ou le vent

Dieu, les anges ou
Satan

l’herbe, le marbre, l’amour

la débauche ou la nuit.
La poésie

requiert l’ombre, la révolte le secret murmuré et la profanation pour n’être jamais absolument profane.
Ce n’est qu’à la mesure du blasphème que s’éveille l’illusion de la divinité.

4

A coups de marteau

à coups de poing

avec des caresses ou des rires

avec l’orage ou l’eau des rêves,

la parole affleure

affronte

pousse au crime et au cri

dévoile le seuil de turbulence des corps

et l’âme violente de qui se tait

sous le plomb gris du ciel.

Maudit soit l’intangible

maudit le dogme et ses gnomes égrotants

maudit l’héritage cloué à même la peau

à même la voix

et maudite soit la malédiction!

5

Il n’est pas de droit au blasphème

comme il n’est pas de droit à la beauté

ni de droit à l’amour.

Le collectif, le grégaire, n’ont pas leurs mots à dire

ils n’ont que sentence à imposer

que silence à ordonner.

La tribu vit de réflexes et de peurs encensées

de rapines et de rites,

c’est une machine qui perpétue ou qui tue.

Son langage exerce un droit de suite

qui a goût de soumission.

Le poète n’invente les mots de la tribu

que contre elle et ses chefs

ses rhéteurs et ses juges.

Le poète parle d’une blessure

qui ruine les cités, les systèmes et les pactes,

parle d’une blessure qui fait battre

les tempes d’un autre monde —

de l’anti-monde où ne se risquent

que les âmes singulières.

Écoutez c’était hier

cela semble encore inaccessible au-devant de nous,

un homme arrachait le nerf de ses oracles

calcinait le cancer du fondement des siècles

les désirs du désir

la racine de toute idée

l’arrimage de l’être au corps,

un homme vaticinait comme on se suicide

un homme transmué en verbe, en désastre

en verbe du vertige seul

qui puisse en finir avec le jugement de
Dieu.

6

En finir à l’infini

avec le jugement des croix

le jugement des képis des turbans le jugement des ayants droit.

et des toges

J’aime celui qui passe son chemin avec aux yeux l’aimant de la lumière et en chaque atome de son corps le foudroiement premier de son amour.

Le poète n’a pas à être pleinement

de son temps, non plus que d’ici.

La tyrannie du lieu met des prisons en tête.

Ceci est à moi qui fut à mon père

et aux pères de mes pères ce pré,

ces bois, ce lac et ses écharpes de légendes…

Quand rien ne se prête, rien ne se crée.

Le secret des uns est le songe des autres

et l’horizon un chant pour effacer le but

et désancrer le corps, l’origine, le nom

et jeter la mort au vif de tout départ.

André Velter

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