Musique et lumière
(Ram
Narayan)
Le premier accord est une déchirure d’espace
D’un geste nous voilà si loin de ce temps
Avec l’immensité des déserts ouvrant sur une mer immense
Ô mémoire, enfance pleine de mirages
L’aridité scintille
C’est du crépuscule à l’inconnu un cortège de présences et de souffles
Où toute chose prend un écho divin
C’est l’heure de l’univers comme harmonie de mystères
Un cavalier s’isole dans la poussière de l’horizon
Une femme porte l’ombre avec sa jarre sur l’épaule
Les derniers cerfs-volants glissent entre les étoiles
Le rythme du soir semble un frémissement sans cesse répété
Une approche un appel une plainte infinie menée jusqu’à l’offrande extrême
Où l’écoute voit
Où la “vue entend
L’archet de
Ram
Narayan s’évade
Puis renoue le simple secret du cœur
Il éveille entre la nuit et le noir
Un corps de lumière
Une mélodie d’éclairs sous un ciel sans nuage
L’âme du sarangi restitue le legs d’un oiseau migrateur aux errances si vastes qu’il oubliait la terre
(Bismillah
Khan)
Souffle sans fin souffle d’au-delà des âges
Bivouac du vent dans les roselières
Souffle porteur des limons du temps
Et pourtant chant d’un esprit pur À l’aube de lui-même
Une plainte recompose un siècle dispersé
Les frissons du sable
L’attente de l’eau
Une torche dans la nuit
Des multitudes effacées peuplent l’écho du shenaï de
Bismillah
Khan
Ce sont les communautés indissociables de la vie
Hommes et algues
Nuages et silices
Chevaux et soleils
Une lumière irisée épouse la poussière
Le cortège des mendiants passe dans les chaumes et le village au loin demeure ce reflet incertain
Refuge de paille pour d’autres sortilèges
S’éloignent les abris et les champs
S’enfuit l’illusion présente
Voici que s’élève ce qui traverse les heures les images les destins et les corps
Voici la buée du cri
La plaie qui lie les tumultes terrestres aux élans du
Ô cette haleine du vide sur le miroir
Et le cœur emporté
Ô
Gange d’un seul souffle
Qui submerge en esprit la parole des dieux
(Satyajit
Ray)
Sable
Non pas sable : grève
Roseaux secs sur pieds
Et soleil
Soleil
Soleil jusqu’au meurtre
Jusqu’au
Gange ou la mer,
Le voile d’une moustiquaire
Des pieds nus sur le seuil —
Les limbes des vivants
Attendent des morts le labyrinthe,
Sourire sans âge
Mariage funéraire
La destinée est calme
Comme un poignard au repos
O regard, l’homme
N’a pas été créé avec du limon
Et de l’eau
Mais avec un soupçon
De lumière.