Rue de l’arbre-sec
Longtemps l’Arbre-Seul des légendes fut de tous mes voyages longtemps sur la route des nuages un spectre levé sans y croire mais affronté mais poursuivi mais défié sans autre espoir que d’y voler la voix les bardes de l’épouvantail si souvent allié des fables ou du vent qui met l’infini dans l’infime et le gai désastre au présent.
Longtemps au-delà des lisières
la tentation de jeter tout l’espace dans l’être
et la pensée plus loin que le dernier horizon,
partir si possible au gré de l’impossible
regard lucide cœur égaré
avec volonté d’os goût de blessure sèche
plus la fragile insolence
de qui sait à peine demander son chemin.
Longtemps comme dans les histoires des
Soufis
où l’ironie est visionnaire
l’errance fut la demeure d’un songe aventureux.
L’Arbre-Seul l’Arbre-Sec était
le même interdit le mime paradis qui dérive
de
Terre
Sainte jusqu’en
Perse
qui change le
Tigre l’Euphrate pour
Araxe et
Volga.
Aux confins de
Haute
Asie l’âpretê des déserts
me semblait signe de source, secret
au bord du soleil et des lèvres
sens pleinement éprouvé dans le sens de la marche
et qui cherche le royaume de l’autre
de l’outre-moi du rien immense —
le royaume à l’orée du silence et du vide.
Puis ce fut loin de
Sanglich de
Ralung de
Tsékarmo
loin des instants où la lumière prenait corps
où la lumière donnait corps emportant
le regard la soif composant
un hymne de poussière et d’azur,
une lueur soudaine et si proche
en fin d’après-midi rue
Saint-Honoré
une lumière inverse comme se jouant
dans le murmure d’une fillette essoufflée
qui confiait en posant son cartable
qu’elle allait à l’école rue de lArbre-Sec
Cétait le plus banal à ses yeux
et aux miens plus qu’un éclat de rire :
son père avait été mon premier guide
dans les bazars de
Kaboul avant
que le déporte tout près de cet emblème
une guerre monstrueuse.
Où était
la terre d’accueil?
Qui était l’étranger?
Homayoun notre histoire n’est que l’ombre d’une fable
où s’éclaire par mégarde ce qui nous échappait.
On dit qu’un gibet se dressait en ces lieux plus mort qu’un arbre mort
que l’enseigne d’un marchand célébrait
les rameaux qui séchèrent en
Egypte
au jour du
Golgotha.
Mais sans symbole ni réclame
et à la seule haleine de son nom
la rue dégorgeait bien assez de mémoire
avec
Coligny trucidé en
Saint-Barthélémy
avec les suppliciés de la
Croix-du-Trahoir
et ces cadavres de la grande peste
qui n’ayant rien légué par testament aux êvêques
s’entassèrent précisément dessus ce pavé-là.
A
Saint-Germain-l’Auxerrois le bestiaire
a traversé l’enfer des siècles,
griffons ours muselés singes et loups
gardent ensemble les rigueurs romanes
les élans gothiques les ajouts flamboyants
et un homme qui porte un lion sur ses épaules.
Marie l’Egyptienne n’a plus qu’une statue.
Qui se souvient de ce vitrail où la sainte
plutôt que de marcher simplement sur les flots
au nautonier s’offrait
toute troussée pour le prix du passage?
Et qui se souvient du magique enterrement
d’un allumeur de réverbères
que les émeutiers de 48 exaltèrent
pour avoir succombé
à une indigestion de diamants?
Est-il une frontière
rue de l’Arbre-Sec ou bien au
Khorassan?
Un reste de panache plus haut que l’infamie qui poste à d’Artagnan l’envoi de son poème
Hôtel des
Mousquetaires aux bons soins maintenant du rayon parfumerie de la
Samaritaine ?