Sonnets spirituels
I
Prenez ores courage, ô craintifs, car voici
Votre Dieu qui vient faire ici son domicile,
Lequel vous sauvera de la puissance hostile,
Et par lui se feront ces belles oeuvresci
Les aveugles verront, les sourds oiront aussi,
Le boiteux marchera d’un pied ferme et agile,
La langue des muets sera prompte et facile,
Et vous serez en paix hors de crainte et souci.
Si qu’il faudra changer en coutre les épées,
Pour bêches et hoyaux lances seront coupées,
Ne se trouvant plus lors qui nous vienne assaillir
Bref, nous serons certains d’être heureux à toute heure
Quelle félicité, quel bien peut défaillir
A l’homme, auprès duquel Dieu choisit sa demeure ?
II
Afin que le Seigneur nous soit doux et propice
Alors qu’il nous viendra pousser au dernier port,
Ayons toujours en main pour conduite et support,
Avec l’ardente foi, les aeuvres de justice.
Hé ! qui pourrait penser le tourment, le supplice,
L’angoisse, la frayeur, le regret et remord
Qu’ont ceux qui, se voyant accablés de la mort,
Sont vides de vertus et remplis de tout vice ?
Las ! nous n’emportons rien que les biens ou méfaits
Dont la vie ou la mort pour jamais nous demeure.
Tous ces biens donc qu’alors nous voudrions avoir faits,
Pour n’être point surpris, faisonsles dès cette heure,
Et ne nous promettons jamais de lendemain,
Car tel vit aujourd’hui qui sera mort demain.
III
Voici le beau printemps qui jà déjà commence,
Chassant le triste hiver obscur et froidureux
Jà se montre Phébus plus clair et chaleureux,
Dont la terre amollie à produire s’avance.
La glace ore se fond, l’eau court en abondance
Ce qui semblait tout mort redevient vigoureux
On oit jà des oiseaux les doux chants amoureux,
Et les plaisantes fleurs prennent ores naissance.
Il nous faut donc tâcher, imitant la saison,
De produire un bon fruit : jeûne, aumône, oraison,
Et ramollir nos coeurs jetant larmes non feintes,
Ressusciter en Dieu, son saint los résonner,
Et des célestes fleurs de vertu nous orner,
Vu que Dieu fait sur nous luire ses grâces saintes.
IV
Voici ores ton roi, ô fille de Sion,
Qui te vient visiter en grand’ mansuétude,
Pour bientôt t’affranchir de toute servitude,
Et te donner salut, grâce et rémission.
Ce bon prince est assis sur l’ânesse et l’ânon,
Ayant autour de soi une grand’ multitude,
Qui, pour mieux honorer sa haute celsitude !,
Le bénit, le caresse et célèbre son nom,
L’appelant de David la semence et la face,
Et faisant tel devoir que les lieux où il passe
Sont tapissés d’habits et de beaux rameaux verts
Puis les voix jusqu’aux cieux par louange résonnent,
Dont les princes des Juifs en murmurant s’étonnent
Car toujours un bon oeuvre est blâmé des pervers.
V
Lèvetoi promptement, m’amour, ma toute belle,
Disait Dieu à la Vierge en ses divins écrits,
Je suis de ta beauté divinement épris,
Hâtetoi de venir, ma douce colombelle.
La terre reverdit et prend robe nouvelle,
Produisant maintes fleurs de valeur et de prix
Jà la pluie et l’hiver ennuyant les esprits
Sont passés, et voici le temps qui renouvelle.
Ce pluvieux hiver c’était l’antique loi,
Ce gracieux printemps c’est la grâce et la foi,
Qui les fleurs de vertu ont fait par tout reluire,
Desquelles a été ornée excellemment
Celle que le grand Dieu a chéri tellement
Que pour épouse et mère il la voulut élire.