Le petit pré
I
Amour
Les étoiles t’ont pris pour leurs lampes
Buveuses de soleil
Où l’ont-elles mis sous quelle rampe
Du ciel
Ont-elles caché l’Amour
Si doux que je cueillais
Dans un éternel jour
Que je cueillais cueillais
En paix
Cerises mûres au creux du temps
Coqs de lumière
Etés printemps dorés ô ma terre
Brûlante sous la mort ô grand
Soleil des mers
Qui m’emportait tous vents éteints
Et puis sans fin
De rivage en désert
Me répondait au cœur Comme de frère à sœur Et maintenant qui me dira Des mots semblables des mots Si beaux
Qu’ils firent perdre éclat Et rompirent les veines A la douce langue humaine
II
Pour un chemin
Que je connus sans le connaître
Pour un vin
Que je goûtai peut-être
Pour un matin
Qui mit le feu à ma fenêtre
J’irai si loin
Que les morts me verront apparaître
III
Terre sois belle ô l’endormie
Des jours d’été
Peux-tu me contenter
Que je ne crie
Ma faim vers ton silence
Deux à deux brûlent les noisettes
Mais les yeux verts de l’innocence
Dans quelle cachette ?
La source du rocher
Je la vois bien
Mais l’eau dont la nuit m’a parlé
Non point
L’amour pend sous la treille
Comme le chaud raisin
Mais qu’elle est loin
La pure la douce merveille
Dont j’ai faim
IV
Toute la vie quotidienne
Est là
Un visage sous les persiennes
Qui se rabat
Le doux soleil
S’en va mourir la tête en bas
Et le jour se débat
Comme une fine abeille
Entre deux doigts
V
Une enfance nous est cachée
O mon âme
Très loin nous l’aurons cherchée
Mais la recevrons dans les larmes
De tout près
Ce faux deviendra vrai
Ce bas deviendra haut
Déchire ton manteau
O nuit longue douleur
La mort se brise comme un verre
Et le fruit tourne en fleur
Au milieu de l’hiver
VI
Ne me faites pareille
A la rose la passerose
Royale des jardins
Car je n’ose
Porter dans mes rêves les abeilles
Mais l’herbe du chemin
Que nul n’a regardée
Un pied l’a couchée dans le soir
Et les étoiles boivent
Son parfum d’écrasée
VII
O mort un jour enfin
Tu briseras ce voile ce rideau d’arbres
Qui tremble à mi-chemin
D’un monde qui m’est seul adorable
Et le silence couvrira la terre
Couchera les vieux mots au cercueil
Et mille sources bondiront dans l’air
Doux comme un œil
VIII
Nous nous endormirons
Et ce sera tellement simple Nous verrons
Que vivre était beaucoup plus difficile
Et tout rempli de gestes inutiles
Que craindre ? Le jour se changera en un soir
Ordinaire La vigne me le dit si paisible
Au moment de verser dans l’invisible
Pressoir
IX
C’est tout petit qu’il faut entrer dans mon Seule une tête d’enfant [royaume
Peut trouver place entre mes paumes Je ne veux pas qu’on soit grand Ni qu’on pèse trop lourd Sur mes genoux de lumière Que cherchez-vous ailleurs ? Je suis la mère Du pur amour
X
Si vive était la clarté
Que je fermai les yeux
Si pure était la beauté
Que se taire valait mieux
Et maintenant s’il m’arrive de les citer
C’est un peu
Comme on demande pardon de tenter
Dieu
XI
Un corps
En terre prend si peu de place
Pour un mort
Il suffit de ce bref espace
Marge de bois
Là tiennent les mains les bras
Tous les rêves étroits
Et cette verte immensité
L’Eternité
XII
Souvent je pense qu’il faudra mourir Où, quand ? Seules questions Puis le temps va s’ouvrir Et nous jeter pauvres apodes sur le pont De l’amour Alors nul vent Ne tentera plus nos ailes Où Irions-nous désormais ô mon cœur ayant Manifestement tout
XIII
En ce monde tu es l’oiseau
Ne trahis pas l’espace ni le chant
Ce serait beau
Déjà et suffisant
Si tu pouvais tenir la note unique
Que Dieu te destina dans sa libre musique
XIV
Joue contre joue ciel contre ciel
Le monde et moi
L’oiseau prend voix
Dans l’arbre artériel [la distance
Depuis longtemps un même sang abolit
Quelle est cette ombre ? Qui m’appelle ?
S’il est au monde une souffrance
Je suis en elle
XV
Je suis l’enfant des rivières lentes
Et des demi-jours
Conduisez-moi je suis l’amante
D’un unique amour
Trop fière pour pleurer trop faible
Pour cacher mes larmes je vais
Sans savoir si je suis partie
Et si viendra le jour que je mendie
XVI
Si j’étais la vallée profonde
Je vous cacherais dans mes fleuves
Si j’étais la mer
Je vous emporterais vers mes abîmes
Si j’étais le torrent
Je me jetterais en vous
Si j’étais le sentier
J’irais me coucher sous vos pieds
Si j’étais la vigne et le vin
Je vous enivrerais toute la nuit
Si j’étais le blé mûr
Je vous couvrirais d’or
Si j’étais l’abeille de juin
Je vous butinerais le cœur
Si j’étais le lézard
Vous me trouveriez dans vos murs
Mais que suis-je ? Rien rien
Pour toujours ce visage en larmes
Blotti dans vos mains
XVII
Lumière je te tiens
Déjà trouble
Joie désirée unique je t’atteins
Double
O monde sur deux tiges
Pour cueillir la fleur simple éternelle
Il faudra choir mortes les ailes
Dans la splendeur et l’ombre du vertige
XVIII
J’ai pris tout l’été
Sur le point de mourir
Avec un mot on pourrait enchanter
La mort et l’endormir
Eterniser doucement la lumière
Et la beauté si belle
Et la vie tout entière
Mais le mot qui rendrait les choses
Est caché dans la mort [immortelles
Et l’été qui s’en va poudre d’or
Sur ma vue l’été le saura
Plus tôt que moi
XIX
Nous nous étendrons sous les arbres
Et le jour passera
Plus tard quelqu’un prendra
Nos veines pour du marbre
Nous serons taillés vifs
Et le sang se taira
Ah! mais qui verra
Battre le cœur vivant sous les massifs
Seules les fleurs de citronnelle
Troubleront l’air de leurs ailes
XX
Une à une
S’éteignent les prunes
Sous les profonds vergers
Où vont-elles pourriture fumier ?
Pour le savoir
Il faut regarder les étoiles
En pleine nuit de juin
Mais encore ce n’est rien
Il faut brûler tous les arbres en un seul feu
Arracher le soleil aux cieux
Mais encore c’est peu
Dire les mots les plus brillants
Perle rosée diamant
C’est encore néant
Quand les yeux pourront voir et les lèvres
Si puissante clarté [chanter
Deviendront pierre glace raideur
Et brûlure sans fin en polaire demeure
XXI
Le temps est mûr
Je n’en sais rien
Je vois le mur
Et le chemin
La vie peut-être qui s’arrête
Un plomb d’or dans la tête
Et moi toute déserte
Les mains bien lisses bien ouvertes
Vivant d’aumônes
A l’entrée des palais
Et des miettes que les balais
Chassent au vent pour personne
XXII
A quoi sert toute nulle la fleur Que l’abeille ne connaît point Vienne sur moi l’essaim Lumineux et que je meure Dans les parfums La prairie gardera le secret Le vent ne dira rien Crime parfait
XXIII
Sur mes genoux je berce le soleil
Lui grand moi si petite
Lui tout brillant moi l’anthracite
Je berce le soleil
Lui feu moi glace
Lui l’océan moi l’eau qui passe
Sur mes genoux je berce le soleil
Lui riche et moi pauvresse
Lui l’abondance moi sécheresse
Je berce le soleil
Je lui dis les mots d’une mère
Qui ne suit que son cœur
Et tous ces riens miettes misères
Lui sont miel et douceur
O lourd été je tiens mon enfant sans
Lui plénitude moi désaccord
Lui rouge vie et moi la mort
Sur mes genoux je berce le soleil
XXIV
Je marche à la lisière
Du jour ou de la nuit
Qui peut dire si la lumière
Sera plus forte que l’oubli
Le beau soleil je l’ai vu mettre en bière
Tout pourri
Mais on dit
Que le coq a chanté au fond des cimetières
Eblouis
XXV
Voici ma place
Pour l’éternité
Une chaise de paille basse
Le silence et l’été
Un mur que le ciel a fendu
Comme une rue
Et mon âme qui s’habitue
A dire tu
XXVI
Ton nom me suffit
Le livre est mort la page est morte
Dévorés par le feu
Dieu
Ferme la porte
Eteins mes yeux
Tout est dit
XXVII
Tu ne connais pas
La douceur de ton nom
Tu ne sais pas comme il est bon
De le dire d’en bas
Quand on se tient
Dans l’ombre de ton cœur
Quand on n’a rien
Que son âme en pleurs
XXVIII
Dans l’eau de ton visage Je suis le cresson sauvage Ne me demande pas de fleurir Je ne sais comment font Les roses pour mûrir Moi toute verte au fond D’une eau lente à me recouvrir
XXIX
Ce que je connais
Est plus profond que tous les mots
A côté c’est en vain que je mets
Les gages les plus beaux
Nul n’existe Pourtant s’il est vrai
Ce que je vois n’est rien
Auprès d’une beauté
Que je ne connais point
XXX
Il n’y a plus vergers ni guêpes
Ni les abeilles préférées
Et la douce lumière aimée
Dort sous le crêpe
Pas de larmes cœur épuisé
Tu comprends que c’était folie
De vouloir éterniser
La danse et la saison fleurie
XXXI
Il suffirait d’un papillon
Pour que la prairie se mette à voler
Que l’oiseau moribond
Cueille son cœur étoile
Quand le trèfle sent bon
Comme un framboisier
Pourquoi dirait-on
Que l’oiseau s’est trompé
De saison
XXXII
Petit chemin blanc
Qui t’agenouilles entre les herbes
Dis-moi quel vent
T’a dépouillé de tous les gestes
Si je m’étends comme toi sous la haie
Serai-je assez inaperçue
Pour que les enfants ne s’effrayent
Et pleins de rires me passent dessus
XXXIII
Abeille qu’as-tu fait ?
Toutes les fleurs te furent prêtées
On vit couler dans la vallée
La luzerne et le serpolet
Nulle excuse pour toi
Et nul amendement
L’été fut grand
Comme un geste de roi
XXXIV
Un jour peut-être que se taire
Sera ma récompense
Les mots tombés à terre
Ont-ils encore un sens ?
O cœur tu ne vois que des morts
Et doucement tu consens au silence
En toi plus beau: pépite d’or
XXXV
Je ne suis pas poète
Dans une chambre j’attendrais
Tous les mots en habits de fête ?
Les jeux sont faits:
Au bord de la rivière
J’habite avec les cailloux blonds
Sur l’eau seule j’écris ton nom
Lumière
XXXVI
Ce n’est pas assez
D’une flaque de ciel en notre cœur
C’est le ciel tout entier
Que je veux Quand viendra l’heure
De s’écouler comme une eau pure
Dans le lit profond de l’amour
Oh! quand viendra le jour
D’être comme une étoffe sans couture
XXXVII
Pauvreté ma demeure
Nulle autre ne m’attend que toi
Je t’aime et tu me fais peur
Pourquoi
Il n’y a plus de traces
Qui peut me montrer le chemin ?
Je marche et le temps passe
Une voix dit rien rien rien
XXXVIII
La gravité
Persienne ouverte sur l’éternité Elle est si tranquille liesse Que les âmes superficielles La prennent pour la tristesse Pourquoi triste quand l’énigme est Mais si profonde qu’on ne peut La lire sans fermer les yeux
XXXIX
On voudrait dire c’est le paradis
Tellement cette pauvre apparence
Est douce à notre ignorance
Le temps marque midi
La lumière des campaniles
Entre en nous comme une couleuvre
Plus besoin de preuve
Mourir est inutile
XL
Je vois la poésie couchée
Des femmes prient
A côté
Serait-ce l’agonie
Là-bas les blés sont beaux
Comme les yeux de juillet
Si l’on pouvait oublier
Ce visage bientôt
Décomposé
Qui entre dans la mort
Comme un petit pré
S’endort
XLI
Tout est consenti
Je m’abandonne à l’oubli
Au silence à la nudité
Minérale du chant
Forêts et champs
Rivières laissez-moi passer…
Le coeur tremblant
Je cherche la beauté
Vêtue de nuit
Qui vous a renversés
D’un cri
XLII
La fleur
Nous ne la verrons pas
Viendra
La mort et sa profondeur
Et cette chair éclatera
De peur
Luira
Soudain d’éternelle splendeur
XLIII
Suis-je venue
La lumière sera pareille
Exactement
Peut-être même un peu plus belle
Qu’avant
Elle m’aura perdue
Et puis après?
Pour la terre nul intérêt
Que je vive ou je meure
Pour moi c’est l’unique commencement
Dans une heure
Je serai cendre ou diamant
XLIV
Entre les haies fleuries
Je n’irai plus
Rasez ma vie
Comme un talus
Prenez le trésor des greniers
La maison le cellier
Toute la vigne d’or
Je n’en veux plus
Ce temps hurle à la mort
Et je ne peux dormir
Je m’en vais les pieds nus
L’amour seul à dire
XLV
Je chante le très pauvre le très doux amour
Qui m’a rompu le cœur
Ecoutez la fontaine en pleurs
A la tombée du jour
Peut-être que la nuit va réveiller
Celui dont on n’a pas voulu
Et qui mourut
Cent mille fois martyrisé
Si vous le rencontrez
Dans les yeux d’un enfant perdu
Vous comprendrez
Pourquoi mon chant s’est tu
XLVI
C’est le temps de l’humilité
De la petite source
Aux yeux brisés
Nous finirons la course
Aveugles dépouillés
De tout
Frères vivants priez
Pour nous
XLVII
Parler haut
N’a plus de sens
Et le silence
Est un oiseau
Perdu… Peut-être qu’il faut
Donner aux mots
Une nouvelle naissance
Une douce innocence
A l’orée du cœur
Ce qu’ils diront
Tuera les fleurs
Et l’arbre dans l’amande
Terre à nu tremble et demande
Pardon