Lettres perdues

Anne Perrier
par Anne Perrier
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Par les fentes de l’éternité

Nous parlerons ensemble

Cherchant nos souffles

Peu à peu laissant nos voix

Se réaccorder

Toi ciel moi terre

Nous parlerons longtemps longtemps

Jusqu’à ce que l’été

Nous couvre de volubilis

Autour de moi les grandes fleurs

Muselées du jour

Mon cœur comme la mer

Se retire

Est-ce midi

Minuit?

L’heure pleine de feuilles mortes

Plie

Mon frère entre la sauge et l’ombre

Repose

Que le jour sur le jour

Croise ses liserons

Tu vois

La mort sent l’herbe la rosée

Ton cœur s’est rempli de grillons

Repose

Mon frère entre la menthe et l’ombre

Pour toi

Le temps sèche dans un herbier

Moi au bord de la terre

Je guette encore

Le prochain départ des oiseaux

Par les forêts et les fougères Par mille sources Par les eaux de l’abîme Par la neige inaccessible Mon frère je t’appelle

Comment veux-tu que je dorme?

D’une pluie à l’autre

Tout ce poivre dans mes yeux

Oh! dans le vent d’automne

Ce jamais plus

Comme un volet qui bat

Cet infini battement d’ailes!

Qui chercherait des fruits des fleurs

Ne trouverait rien

Très haut dans le ciel

Nos âmes se croisaient

Comme des alouettes

L’espace fut notre royaume

O temps de gloire! La mort

Te mène douce vers les fleuves

Méridiens et graves

Tu t’éloignes tu pars

Le premier sous les arbres bleus

Que tu disais que nous disions

Heureux

J’ai repris seule nos beaux chemins

Ceux que le temps n’aurait pu contenir

Et qui furent d’éternelle saison

Sous les abeilles

J’avance seule où nous allions

Prunelles bleues

Dans l’air oiseaux limpides

Feu

Vous qui peuplez de rires Votre nuit vous qui lisez Sous des lampes pourries Vous qui passez Les âmes à gué N’approchez pas Ici n’entrèrent Que larmes et lumière

Allume pour moi

L’éternelle étoile…

Quand finira la terre?

Je suis perdue dans le brouillard

J’ai froid

Et la nuit rôde

Comme le jaguar

Oh ! les clartés les soleils Les braises de l’enfance Et tout au bout de nos prairies Les anges lumineux des rivières Rappelle-toi nous étions purs Comme les heures du jour Quand elles rentrent du bain

La cruche que nous portions ensemble Tu partis seul la remplir Ah! dans l’air où je brûle Verse-moi à boire

Les nuages pouvaient passer Les vents avaient beau s’en aller Revenir et la lune courir Sur la voie lactée Jamais jamais ne fut brisé L’arc de la distance Seules nos voix de paille Habillèrent l’absence Puis le silence vint Comme le merle

Je ne sais plus rien de toi Les palissades du ciel Gardent bien leur secret Si je questionne les étoiles Elles ferment les yeux Où sont-ils les jardins profonds Et frais que nous cherchions Aux lisières perdues de l’enfance

Sur ma table Une rose fleurit En silence

Celle que tu suivis

Un dimanche d’octobre

Cela faisait si longtemps

Qu’elle marchait à ton côté

Douce cherchant tes yeux

Sous la pluie

Elle tenait le philtre le remède

Le diamant vierge

Elle chantait pour t’endormir

Elle savait qu’on prend ainsi les enfants

Dans la nuit

Maintenant tu ne marches plus Dans la maison de verre Tes mains ont fini de capter Les vents solaires Tu es parti Laissant après toi L’appel radieux des

Oh ! que le monde est froid

Dans l’hiver

Aujourd’hui conduis-moi

Vers les puits de lumière

Aie pitié

Ouvre-moi les veines que je boive

La mort incandescente

Ton âme tourmaline Saphir liquide Ton âme je le sais Dieu la porte à son doigt

Mère de la perpétuelle enfance

Merci

Le ciel entier n’a-t-il fleuri

Le jour où fut coupé d’ici

Ce rameau vert

Que vous gardiez à l’abri

De l’hiver

Tu as laissé sous nos yeux le chemin Mais non la rive et la vallée Qu’on touche à la fin du voyage Ni le raisin ni le feuillage Ni la rivière constellée Du translucide été Oh! l’éternelle vie

Un seul instant baisse la vitre!

Dans le train de nuit

Mes yeux s’ouvrent comme des marguerites

Je ne vois rien

Mes yeux errent en vain

Parmi les ombres et pourtant

De quoi suis-je éblouie

Sinon de l’heure glorieuse

Arrêtée au-dessus de nous

Tu voulais que personne ne pleure!

Toi qui savais que le cœur

Est tendre mesure

Et rouge-gorge dans la main

Et clématite aux murs

Du jardin

Quelle digue pourrait tenir Contre la mort et la douleur Contre le vent du nord Arrachant le fil De l’amour Oh ! les eaux de la mer Couvrez mes terres Pour toujours

Regarde frère marin

N’est-ce pas ici

Qu’étincellent nos larmes

Aurons-nous peur des vagues

Et de la houle et de ce bleu sans fin

Dans nos veines

Le vent se lève viens nous danserons

Dauphins légers

Sur la crue des siècles

J’ai vu larguer l’arc-en-ciel

Et voler haut

Les oiseaux de mer

J’ai vu le vent baisser l’aile

Et descendre sur l’eau

D’un golfe solitaire

J’ai vu mais à quoi bon

Cette douceur passagère

Ma vie se rompt

Sous le fer

Le long des saules

Où vont les barques dans l’hiver?

Où vont les feuilles par milliers

Livrées au vent?

Où vont les songes morts où vais-je

Entre pluie et neige?

Me voilà seule au bord de l’eau courante Où hier à peine

Nos mains de sable poursuivaient Sous la pierre les truites

Comment as-tu pu croire Que le monde se passerait de toi Hissez tout en haut du mât Ma peine comme un étendard Pour ceux qui se noient

Je ne savais pas ce que veulent dire

L’absence le mourir

Les mains vides subitement

Sur l’oiseau qui s’envole

Amère amère école

Mon cœur est vieux à l’instant

Tout est prêté comme le chant

Du rossignol

Et ma vie maintenant la voilà

Fruit vert fruit suspendu

Entre deux branches

Impatient d’un poids

Qui le fera choir

Sur la terre promise

Cherchant le feu cherchant le froid

Guettant la brise

Qui l’emportera

Oh ! ne serait-ce de ta puisée Dans le torrent de l’Amour Que lui vient chaque jour Sa part de rosée

Anne Perrier

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