Prière
Qu’on me laisse partir à présent Je pèserais si peu sur les eaux J’emporterais si peu de chose Quelques visages le ciel d’été Une rose ouverte
La rivière est si fraîche
La plaie si brûlante
Qu’on me laisse partir à l’heure incandescente
Quand les bêtes furtives
Gagnent l’ombre des granges
Quand la quenouille
Du jour se fait lente
Je m’étendrais doucement sur les eaux J’écouterais tomber au fond Ma tristesse comme une pierre Tandis que le vent dans les saules Suspendrait mon chant
Passants ne me retenez pas
Plaignez-moi
Car la terre n’a plus de place
Pour l’étrange Ophélie
On a scellé sa voix on a brisé le vase
De sa raison
Le monde m’assassine et cependant Pourquoi faut-il que le jour soit si pur L’oiseau si transparent Et que les fleurs
S’ouvrent à chaque aurore plus candides
O beauté
Faisons l’adieu rapide
Par la rivière par le fleuve
Qu’on me laisse à présent partir
La mer est proche je respire
Déjà le sel ardent
Des grandes profondeurs
Les yeux ouverts je descendrais au cœur
De la nuit tranquille
Je glisserais entre les arbres de corail
Ecartant les amphores bleues
Frôlant la joue
Enfantine des fusaïoles
Car c’est là qu’ils demeurent
Les morts bien-aimés
Leur nourriture c’est le silence la paix
Ils sont amis
Des poissons lumineux des étoiles
Marines ils passent
Doucement d’un siècle à l’autre ils parlent
De Dieu sans fin
Ils sont heureux
O ma mémoire brise-toi
Avant d’aller troubler le fond
De l’éternité
Ainsi parle Ophélie
Dans le jardin désert
Et puis se tait toute douleur
La rivière scintille et fuit
Sous les feuilles
Le vent seul
Porte sa plainte vers la mer